- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX AU MAROC

LA LUTTE CONTRE LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX AU MAROC

 

Les capitaux d’origine illégale, plus communément appelés « argent sale », font de plus en plus l’objet d’une traque à l’échelle internationale, tout particulièrement depuis les attentats du 11 septembre 2001 et la volonté de la communauté internationale des États de lutter contre le terrorisme. Les moyens utilisés pour le blanchiment de capitaux sont pluriels : les virements électroniques, les utilisations abusives des organismes à but non lucratif, le secteur des assurances et des banques, les personnes politiquement exposées[1], les experts juridiques et financiers dits « ouvreurs de portes » ou « gatekeepers »[2]... 

Notons que si, depuis longtemps déjà, les États développés se sont engagés dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, le Maroc aussi cherche à se mettre au diapason des bonnes pratiques. Aussi convient-il de s’enquérir de l’état des perspectives et du contenu du droit contre le terrorisme et le blanchiment de capitaux au Maroc. 

I. État et perspectives du droit contre le terrorisme et le blanchiment de capitaux 

Les textes en vigueur au Maroc connaissant quelques limites et imperfections, le besoin s’est fait sentir quant à une mise à niveau juridique qui, outre la lutte contre le terrorisme, peut avoir des effets collatéraux sains et bénéfiques sur l’économie et les institutions nationales.

1. Les limites et imperfections des textes en vigueur

À l’instar de divers groupes régionaux, le Maroc vient de créer avec d’autres États[3] le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux pour le Moyen Orient et l’Afrique du Nord (GAFIMOAN). Outre la signature de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, divers textes participent, à l’échelle nationale, à cette volonté de lutter contre le blanchiment d’argent, en particulier : le Code pénal, la loi n° 03-03 sur la lutte contre le terrorisme[4] et, plus récemment, la loi n° 43-05 sur la lutte contre le blanchiment de capitaux[5].

Le Maroc avait déjà fait voter une loi antiterroriste le 28 mai 2003, soit juste après les événements terroristes du 16 mai casablancais et, en mai 2007, il a également adopté la loi contre le blanchiment de capitaux.

À la loi antiterroriste – tant critiquée par les défenseurs des droits de l’Homme et néanmoins validée et adoptée par les deux chambres du Parlement marocain dans des temps assez courts, motivée par des raisons politiques et conjoncturelles consécutives aux événements tragiques du 16 mai 2003 à Casablanca – vient, dès lors, s’ajouter la loi contre le blanchiment de capitaux. Faut-il considérer, pour autant, qu’avant l’adoption de ces lois le Maroc vivait dans un vide juridique, autrement dit d’un État de non droit au sujet de la lutte contre le blanchiment d’argent ? Loin de là !

Avant même et sans ces textes, le Maroc disposait déjà de divers instruments juridiques à même de lutter contre le blanchiment de capitaux. La question est cependant de savoir si jusqu’ici ils ont fonctionné comme il se devait ? Il est permis d’en douter compte tenu de leurs limites théoriques et pratiques.

2. Une mise à niveau de la législation marocaine

La Maroc semble s’engager dans la remise en cause de cette image et réputation d’un pays laxiste envers le recyclage de l’argent sale[6], en recherchant une mise à niveau de son arsenal juridique conforme aux standards internationaux. Le nouveau texte de mai 2007, dont il est ici question, a été élaboré conjointement avec les experts du Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux (GAFI) et conformément à leurs recommandations. Ce n’est plus un simple texte prohibitif, mais un véritable plan d’action qui jette les jalons pour combattre le blanchiment de capitaux.

Néanmoins, d’aucuns, par médias interposés, n’hésitent pas à crier gare en osant la comparaison avec la sinistre campagne d’assainissement de 1996, voire en mettant en avant l’atteinte au secret professionnel. Pourtant, le secret professionnel n’a jamais été absolu et opposable à la loi et à la justice.

3. Des effets collatéraux sains et bénéfiques

Il convient de d’interroger sur les effets collatéraux qui seraient induits par les mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux. Le recyclage de l’argent sale peut corrompre et déstabiliser les économies nationales, miner les institutions. Il contribue, comme chacun le sait, à renchérir le coût de la vie et à fausser bien des lois. À titre d’exemple, le prix des biens immeubles, déjà assez élevé, devient artificiellement hors de portée des bourses honnêtes. Il en résulte qu’une véritable lutte contre le blanchiment de capitaux aboutirait à un véritable assainissement des institutions et de l’économie nationale.

II. LE CONTENU DE LA LOI CONTRE LE BLANCHIMENT DE CAPITAUX

La loi contre le blanchiment de capitaux ne se limite pas à la seule lutte contre le terrorisme. Par rapport au droit en vigueur, le « devoir de vigilance » des différents intermédiaires se retrouve élargi et une entité ad hoc est prévue pour la lutte contre ce même blanchiment.

1. La lutte contre le blanchiment de capitaux n’est pas un simple corollaire de la lutte contre le terrorisme

Si la lutte contre le blanchiment de capitaux est le corollaire de la lutte contre le terrorisme, toujours est-il que la loi contre le blanchiment de capitaux ne s’attaque pas seulement au terrorisme, mais aussi à l’ensemble des personnes ou groupes qui participent au blanchiment de capitaux issus des trafics en tous genres : drogue, contrebande, immigration illégale, corruption, trafic illicite d’arme, détournement de biens publics et privés, contrefaçon et falsification de monnaie ou effets de crédits publics...

2. L’élargissement du devoir de vigilance

Il est prévu que tous les acteurs et intermédiaires utilisés par les blanchisseurs soient mis à contribution avec une obligation de vigilance et d’information de l’autorité créée pour la circonstance sous le nom commun d’Unité du traitement du renseignement financier[7] . Ainsi, plusieurs corps de métiers, parmi lesquels les établissements de crédits, les banques et les sociétés holding offshore, les compagnies financières, les entreprises d’assurances et de réassurances, les contrôleurs des comptes, comptables externes et conseillers fiscaux, les membres de professions juridiques indépendantes, les personnes exploitant ou gérant des casinos et établissements de jeux de hasard, sont tenues de déclarer tous soupçons sur les opérations douteuses dont ils auraient connaissance.

3. La création d’une unité ad hoc chargée de la lutte contre le blanchiment de capitaux

L’Unité du traitement du renseignement financier qui sera créée pour la circonstance sera rattachée au Premier ministre. Elle se composerait de représentants de Bank Al Maghrib, de magistrats, de banquiers, d’experts comptables... Dotée de larges pouvoirs, ce serait une véritable police chargée de traquer et de lutter contre les crimes financiers en rapport avec le terrorisme ou le blanchiment de capitaux. Avec ce texte sur le blanchiment de capitaux, il est fait d’une pierre deux coups. En raison de la volonté de lutte contre le terrorisme, c’est toute la filière du blanchiment des capitaux qui se retrouve dans le collimateur[8].

Considérations finales

La mise à niveau de la législation marocaine doit, dans le cas d’espèce, pour être utile et efficace, s’accompagner d’une large campagne de formation, de sensibilisation et de mise à niveau des différents intermédiaires qui sont à même de permettre, consciemment ou inconsciemment, le blanchiment de capitaux. Notons, par ailleurs, que la prépondérance du circuit informel,dans l’économie marocaine, qui représente près de la moitié des dépôts en banques, a de quoi inquiéter.

Au-delà de l’adoption de la loi contre le blanchiment de capitaux, la mise en œuvre des ambitions affichées est à suivre. Quels seront les moyens prévus et mis à la disposition du programme de lutte contre le terrorisme et le blanchiment de capitaux ? Ce n’est qu’après quelques années de pratique que l’on pourra apprécier et évaluer correctement ce qu’il en sera. Mais d’ores et déjà, quand on sait que le GAFI a pu relever dans les pays développés une augmentation tendancielle d’opérations suspectes, y compris depuis le 11 septembre 2001, il est possible d’affirmer, sans grand risque de se tromper, que beaucoup d’efforts et de temps seront nécessaires avant que le souhait affiché d’une lutte contre le blanchiment de capitaux, au Maroc, soit réel et effectif. Toute une expertise et un savoir faire sont à développer. D’où l’intérêt de la coopération internationale, dans un travail de longue haleine, où bien des intérêts – politiques, financiers, économiques – risquent d’être bousculés et remis en cause s’il est mené à bien. Si, pour l’heure, l’Unité du traitement du renseignement financier attend toujours le décret qui lui permettra de voir le jour, les personnes assujetties, quant à elles, devraient sans tarder se mettre en conformité.

                                                                                          

Copyright : © 2007 Mimoun CHARQI. Tous droits réservés.

 

Mode officiel de citation : Mimoun CHARQI, «La lutte contre le blanchiment de capitaux au Maroc », https://charqi.blog4ever.com



[1] Par  « personnes politiquement exposées » sont désignées les personnes qui exercent ou ont exercé des fonctions publiques importantes et sont soupçonnées d’activité criminelle financière, telle que la corruption.

[2] La «  Financial action task force on money laundering » (FATF) en français GAFI a publiée divers rapports sur les typologies du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

[3] Les membres fondateurs du GAFIMOAN sont : l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Bahreïn, l’Egypte, les Emirats arabes unis, la Jordanie, le Koweït, le Liban, le Maroc, l’Oman, le Qatar, la Syrie, la Tunisie et le Yémen.

[4] Bulletin officiel n° 5114, du 05 juin 2003.

[5] Bulletin officiel n° 5522, du 3 mai 2007.

[6] L’ONUDC a estimé, en 2003, que les montants rapportés aux parrains marocains par le trafic de drogue sont de 10 milliards d’euros, soit le quart du PIB national de la même année.

[7] En France, l’alter ego de cette entité, qui existe depuis 1990, a pour nom le TRACFIN : Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.

[8] Force est de relever que parmi les infractions considérées comme faisant partie du blanchiment de capitaux ne figurent pas nommément  les infractions fiscales, les versements au noir ou dessous de table, qui sont courants lors des transactions immobilières.



14/05/2010
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