REALITES ET PERSPECTIVES DES THINK TANKS AU MAROC
Réalités et perspectives des think tanks au Maroc[1]
Je souhaiterai, de prime abord, saluer chacun des participants et remercier les organisateurs d'avoir bien voulu m'inviter à cette rencontre. Il va sans dire que le Maroc semble découvrir la vertu de l'intérêt des think tanks. Notre pays est jeune et les différents défis qui sont devant lui ne peuvent être menés à bien, correctement, en l'absence d'institutions dédiées à la réflexion et à la proposition de solutions, concrètes et adaptées, qui tiennent la route. Avant de relever l'absence de tradition marocaine, en ce qui concerne les think tanks, il sied de savoir ce que ce concept recouvre et ce qu'il en est de leur but.
1. Définition générale et but des think tanks
Le concept de «think tank » signifie « réservoir d'idées ou de pensées » ou encore « boîte à pensées » et tient du vocabulaire militaire dans la mesure ou le « think tank » s'apparente à un type de « bunker » où l'état-major établit ses plans. Les définitions qui se font des « think tanks » précisent que ces derniers ont pour objet de proposer des solutions pour le bien commun, sans pour autant participer directement à l'exercice du pouvoir politique, ni avoir pour but de le conquérir. Les think tanks ne valent en principe que par la pertinence de leurs analyses et par l'influence qu'ils peuvent avoir sur l'orientation et les décisions du politique.
2. Naissance, développement et classement des think tanks dans le monde
D'aucuns affirment que le premier « think tank », en l'occurrence la « Fabian Society », fut crée au Royaume-Uni en 1884 afin de promouvoir des réformes sociales. Tandis que d'autres pensent que le vrai premier « think tank » c'est la « Brookings Institution » qui fut créée en 1916 aux USA[2].
Selon le site Euractiv.fr, en avril 2009, on relève que le nombre de think tank a quadruplé, en Europe, au cours des dernières années, pour atteindre un total de 1200, sur 5000 dans le monde. Le « Global 2009 Go To Think Tank Classements » a permis de dénombrer un univers de 6.305 institutions ainsi réparties[3] :
Régions |
No. of TT's Nombre de T.T. |
% of Total % par rapport au Total
|
Africa Afrique |
503 503 |
8 8 % |
Asia Asie |
1183 1183 |
19 19 % |
Europe Europe |
1750 1750 |
28 28 % |
Amérique latine et caraïbes |
645 645 |
10 10 % |
Latin America and CaribbeanMoyen-Orient et Afrique du Nord |
273 273 |
4 4 % |
Amérique du Nord |
1912 1912 |
30 30 % |
Océanie |
39 39 |
1 1 % |
Oceania Total Total |
6305 6305 |
100 100 % |
3. Une qualification duale des think tanks
Pour la qualification des think tanks, on retrouve deux approches:
- la première approche considère comme « think tank » tous les espaces de réflexion, quels que soient leurs formes et moyens du moment où sont proposé des analyses, réflexions stratégiques, orientations, plans, scénarios,…
- la seconde approche estime que le label think tank doit être réservé aux institutions dotées de moyens suffisants, indépendantes et produisant régulièrement des rapports, publications, et autres. C'est cette dernière approche qui est retenue en France.
4. L'absence de tradition marocaine des think tanks
Le moins que l'on puisse dire c'est que les think tanks, c'est-à-dire des institutions regroupant des experts réfléchissant à produire des idées dans le domaine des sciences sociales, après analyses, afin de faire des propositions de scénarios de politique publique, fait largement défaut au Maroc. Bien souvent, il est fait recours à des cabinet étrangers pour les études de diagnostic, scénarios et plan de développement et autres.
Avant d'en venir à recommander, au titre de considérations finales, le soutien à la création et au développement de think tanks nationaux, il convient de se pencher sur les pratiques au Maroc ainsi que la place occupée par rapport aux réalités des think tanks à l'étranger.
I. Où se situe le Maroc par rapport aux think tanks étrangers ?
Pour connaître des think tanks, au Maroc, il faut savoir ce que ces institutions représentent à l'étranger.
1. Le pouvoir des think tanks des Etats-Unis d'Amérique
De prime abord, il faut relever que le pouvoir des think tanks est bien plus modeste dans les pays européens qu'il ne l'est aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays, les think tanks sont très puissants et fort influents. On y retrouve des chercheurs et universitaires, qui souvent deviennent hauts fonctionnaires chargés d'appliquer les orientations et idées qu'ils ont pu développer ou recommander. Les think tanks y jouent un rôle majeur dans la définition de la politique scientifique, technologique, sociale, militaire, stratégique,… Leur but est d'inspirer des politiques effectives.
2. Les moyens des think tanks des E.U.A
Le nombre de ces institutions, ainsi que leurs moyens, sont très importants car financés par des fondations très riches. Selon la taille, ces think tanks peuvent avoir quelques chercheurs seulement avec un budget de quelques dizaines ou centaines de milliers de dollars, ou, au contraire, des équipes de plusieurs centaines de personnes avec un budget de plusieurs millions de dollars.
3. Les centres d'intérêts des think tanks des E.U.A
Qu'il s'agisse d'environnement, de sécurité nationale, de politique sociale, de politique étrangère, de politique économique, ou autres tout y passe. Les think tanks sont des lieux de fabrique d'une guerre des idées et de l'intelligence économique, politique, sociale,…
4. Le caractère indépendant et la pertinence des think tanks
Il est particulièrement insisté sur le caractère « indépendant » de ces organismes, encore que l'indépendance soit toujours bien relative. En fait, au-delà de l'indépendance, qui doit tenir à l'absence d'auto censure, les think tanks, généralement, ne valent que de par la pertinence de leurs idées, solutions et propositions. Toutes proportions gardées, les think tanks européens sont sans comparaison avec ceux nord américains.
Mais, il n'est pas dit que ces derniers détiennent toujours les solutions idoines. Bien souvent, il est arrivé qu'ils se trompent, probablement par trop d'assurance,… A titre d'exemple, le PNAC (Project for the New American Century), qui regroupe des intellectuels néo-conservateurs est célèbre pour avoir élaboré un programme de politique étrangère dont, notamment, la politique de G.W. Bush, en ce qui concerne les guerres d'Afghanistan et d'Irak.
5. La place du Maroc dans les think tanks
Mais qu'en est-il du Maroc ? Si l'on considère que les think tanks sont des institutions privées, cela réduit le nombre de think tank puisqu'il ne faudrait pas tenir compte de l'Institut royal des études stratégiques, ou d'autres moins bien connus et affiliés à des services de l'Etat. Le caractère « privé » tient probablement à l'indépendance dont doivent se prévaloir les think tanks.
La société civile, au Maroc, est celle qui participe le plus, (à travers diverses associations, ayant plus ou moins de succès en raisons des moyens financiers limités dont elles peuvent disposer), au rôle de think tank. Le problème c'est que faute de soutien et de moyens, de commandes aussi, le rôle de think tank de la société civile ne peut être que bien réduit.
Seuls 9 think tanks sont dénombrés pour le Maroc. Dans le top 25 des think tanks pour l'Afrique du Nord et le moyen orient[4], [du « Global 2009 Go To Think Tank Classements »] le Maroc se classe à la 23e place avec le Centre d'études et de recherches en sciences sociales. C'est dire si le Maroc est bien loin de cet univers des think tanks, car il n'y a guère de tradition en la matière.
II. Intérêt et recours à des think tanks étrangers
Le recours aux think tanks étrangers ne s'effectue pas à titre gracieux, ni indépendant,…
1. Le recours aux think tanks étrangers
Néanmoins, différents départements font un recours systématique aux think tanks étrangers, quant il ne s'agit pas tout simplement d'institutions internationales ou de bureaux d'études étrangers. Le recours à des entités étrangères demeure un complexe vis-à-vis des compétences nationales. Nombre de plans de développement, de diagnostics, d'études, d'analyse et autres sont commandées à des entités étrangères. Bien souvent, ce dont ces entités disposent c'est un label enrichi et développé au fil du temps. Ce qui leur fait le plus défaut c'est une maîtrise des réalités locales ; aussi doivent elles, pour cela, s'appuyer sur les ressources propres du pays.
2. Crédibilité, label, résultats,…
Si la crédibilité n'est pas toujours au rendez vous, eu égard aux résultats, il n'en reste pas moins que le coût est souvent de loin disproportionné par rapport aux résultats pouvant être espérés. Toujours est-il que l'on aura bien plus confiance et accordera bien plus d'intérêt à un think tank étranger qu'à ce qui pourrait être produit localement. Notons, cependant, que des think tanks étrangers, parmi les plus prestigieux, n'hésitent pas à inviter et à consulter des experts nationaux.
Considérations finales : La création et le développement de think tanks nationaux
Les difficultés des think tanks nationaux et leur défaut de moyens financiers et matériels peuvent être comblés pour autant que les entités publiques, (ou privées), y recèlent un intérêt et les soutiennent.
1. Le défaut de moyens financiers et matériels
L'argent étant le nerf de la guerre, il ne peut y avoir, valablement, des think tanks nationaux, dignes de ce nom, en dehors de moyens financiers, matériels et humains. Si les compétences humaines ne font guère défaut, aujourd'hui, dans notre pays, cela n'est pas aussi vrai en ce qui concerne les ressources financières et matérielles.
2. Soutien, partenariat et parrainage
La comparaison avec les think tanks étrangers de pays développés peut être riche d'enseignements sur ce qui pourrait ou devrait se faire. Une pluralité de think tanks devrait voir le jour en étant soutenue et/ou adossée à des fondations ou départements pour lesquels ils pourraient travailler en toute indépendance et crédibilité scientifique. A titre d'exemple, les deux chambres du parlement pourraient avoir chacune son think tank, les départements ministériels aussi, les différents services de l'Etat, les grandes entreprises publiques, …
Organisés sous forme d'associations à but non lucratif, ces think tanks peuvent passer des accords de collaboration et d'accompagnement avec les entités intéressées. Elles peuvent même être crées sous l'impulsion et à l'initiative des institutions concernées.
Mais déjà le seul fait d'en discuter, la prise de conscience de l'intérêt des think tanks est un pas important et le présent colloque en est le témoin. Espérons, seulement, que l'utilité et les échos exprimés lors de la présente rencontre parviennent à qui de droit et ne restent pas lettre morte, dans l'intérêt du bien commun.
Copyright 2010. Mimoun CHARQI.
Mode de citation. Mimoun CHARQI. "Réalités et perspectives des think tanks au Maroc". http://CHARQI.blog4ever.com
[1] Communication pour le 11e colloque international sur le thème « Réflexion stratégique et Think Tanks dans les pays arabes ». Faculté de droit – Souissi - Rabat – 25 et 26 mars 2010.
[2] La Brooking institution est spécialisée dans l'étude des politiques publiques. Elle est née en 1927 de la fusion de 6 organisations dont la plus ancienne date de 1916.
[3] Ce tableau indique le nombre de think tanks, en 2009, basé sur les données recueillies en date du 31 août 2009.
[4] Sur les 25, dix sont israéliens, trois turcs, trois égyptiens, trois des Emirats arabes unis, deux libanais,…
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