- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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10. MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI


L’EMIR MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI ENTRE L’EXIL ET LES PROJETS DE RETOUR DANS LE RIF

L'EMIR MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI ENTRE L'EXIL  ET LES PROJETS DE RETOUR DANS LE RIF[1].


Le 14 février 2004 nous étions réunis, à l'initiative du Journal Le Monde Amazigh autour d'un colloque abrité par la C.C.I.S de Nador, autour du thème des armes chimiques de destruction massives contre le Rif. Aujourd'hui, nous sommes réunis, ici, dans la ville d'Al Hoceima, autour du thème de l'installation de l'Emir en Egypte : Dimensions et significations nationales et internationales, sous l'égide de la Fondation Mohamed Abdelkrim El Khattabi.


La relation entre le thème du premier colloque et le second est à mettre en exergue. Puisque ce fut tout particulièrement l'utilisation des armes illégales et chimiques de destructions massives contre le Rif qui conduit Mohamed Abdelkrim El Khattabi à baisser les armes et à négocier avec les français les termes d'une reddition. Un accord qui ne fut pas respecté du côté français, puisqu'au lieu de se retrouver dans un pays de son choix, (le Liban ou la Syrie), l'Emir se retrouva embarqué pour de nombreuses années d'exil à l'île de la Réunion, où il devait passer 21ans avant que les français lui donnent l'occasion de leur fausser compagnie, en 1947.


Autant l'histoire, de Mohamed Abdekrim EL KHATTABI, liée à la guerre du Rif, est-elle suffisamment vulgarisée auprès des personnes intéressées, autant la période de l'exil reste t-elle à explorer, à mettre en forme et à vulgariser. Aussi, le présent colloque est-il le premier jalon pour ce nécessaire travail de recherche, d'histoire et de mémoire afin de rendre hommage à un homme qui a marqué son siècle et continu à susciter l'intérêt des générations. Les braises de feu Mouray Mohand sont encore ardentes.


Les différents intervenants se pencheront sur différents aspects des années « d'exil » correspondant à l'installation de Mohamed Abdelkrim El Khattabi en Egypte, avec tout ce que cela peut soulever comme interrogations, émotions et passions. D'ores et déjà, il faut dire que l'examen approfondi et la présentation des périodes d'exil ne seront pas finies avec ce colloque ; bien s'en faut.


Avec le départ de l'île de la Réunion, ce fut là le premier projet de retour de l'Emir, un projet de retour que l'on peut qualifier de français, puisque à l'initiative de ces derniers. Ce dernier n'ayant pas aboutit, l'Emir réussi à débarquer en Egypte, où il entreprend son combat sous d'autres formes et avec d'autres ambitions, dont un projet de retour que l'on peut désigner d'Egyptien puisque soutenu par le Raïs Gamal Abdenasser. Mais en quoi consistaient ces deux projets et quels étaient leurs tenants, contextes et aboutissements.


I. LE PROJET DE RETOUR FRANÇAIS DE L'EMIR

Les années s'écoulent sur l'île de la Réunion. L'Emir reçoit et écrit en pensant à son Rif natal et la vie s'écoule paisiblement. Autour de lui, sa famille et ses proches. Deux décennies se sont déjà écoulées. Les perspectives d'avenir semblent monotones. Un événement vient cependant tout chambouler et mettre un peu de tension, de suspens et d'appréhension dans la vie, depuis paisible, de la famille El Khattabi. Un émissaire spécial est venu de France, sous l'identité commune de « Jean Durand », membre des services secrets français, avec une proposition pour le moins peu anodine.


La France a connu des changements politiques importants. Après la fin de la seconde guerre mondiale, les élections ont porté au pouvoir le Front populaire et les gouvernements Blum et autres. Dans le Front Populaire on retrouve des membres des Brigades Internationales qui s'étaient engagées dans la guerre d'Espagne contre les franquistes aux côtés des rouges et qui dès lors avaient des opinions et positions politiques guère favorables au régime franquiste.


L'Emir se voyait proposer ni plus ni moins qu'un projet de retour dans le Rif pour la reprise des combats. Au point de vue de la forme, l'Emir serait transféré en France pour raison de santé afin de suivre une cure thermale, à Vichy ou Royat. De là, il serait discrètement débarqué dans le Rif pour la reprise des combats. La France soutiendrait le combat des rifains y compris auprès de l'Organisation des Nations Unies. Une fois le soulèvement du Rif opéré, les délégués français demanderaient une réunion du Conseil de Sécurité, pour condamner l'Espagne qui n'en était d'ailleurs pas membre, tout en recherchant l'évacuation de la zone sous autorité espagnole en arguant d'actes de génocides contre les populations autochtones. L'Espagne ne pouvant être en mesure de faire face à des mesures de blocus et sanctions économiques céderait et la zone du Nord du Maroc, sous autorité espagnole, serait incorporée au reste du pays et soumise à l'autorité du Sultan qui concéderait une large autonomie au Rif sous l'autorité de l'Emir. En politique avisé, Abdelkrim demanda un temps de réflexion avant de rendre sa réponse.


L'Emir n'avait plus grande confiance dans les français. Déjà, une première fois, lors de la reddition négociée ils n'avaient pas respecté leur engagement. Fallait-il leur faire confiance une fois de plus au risque de le regretter ? Une fois l'agent français reparti, l'Emir envoya un émissaire au Roi Farouk d'Egypte en lui expliquant la situation et en sollicitant son accord pour un asile en Egypte. La réponse ne se fit pas attendre. Non seulement le Roi Farouk marquait son accord total pour accueillir l'Emir mais en sus, au besoin et si nécessaire, la force serait employée pour son débarquement.


Une fois l'agent français revenu voir l'Emir, ce dernier lui fit part de ses conditions. Il fit mine d'accepter, sous réserve d'aller en France avec tous les siens, y compris la dépouille de sa défunte mère, et qu'il lui soit concédé un traitement digne de son rang. Toutes ses conditions furent acceptées par la France.


Mais, force est de préciser, à ce sujet, que les avis divergent selon les sources au sujet des conditions du débarquement de l'Emir. Qui en pris l'initiative ? Comment se déroula t-elle ? Nombreux furent ceux qui s'efforcèrent de récupérer à leurs avantages politiques les conditions et la décision du débarquement et de l'installation de l'Emir en Egypte. Nul doute que nous reviendrons, tout à l'heure, au moment du débat sur cette question. Toujours est-il qu'il semble peu probable que le débarquement et l'installation aient pu se faire sans que l'Emir y ait été préparé et surtout sans qu'il ait reçu l'accord préalable du Chef de l'Etat Egyptien de l'époque. Au passage, on ne peut que rendre hommage, ici, aujourd'hui à l'attitude du Roi Farouk, encore que les mauvaises langues en disent long sur ses motivations. La thèse ici retenue qui, au demeurant, paraît fort crédible trouve ses fondements dans le témoignage du journaliste espagnol Fernando P. DE CAMBRA , [auteur du livre « Cuando Abdelkrim quiso negociar con Franco »], qui eut l'occasion de rencontrer et d'interviewer à plusieurs reprises l'Emir et les siens . Ce témoignage provient des entretiens de ce journaliste écrivain avec l'Emir.

C'est ainsi qu'une fois embarqués sur le bateau du retour et arrivés à Port Saïd, lors de l'escale du navire, les autorités Egyptiennes montèrent à bord du navire et manu militari, mitraillettes aux poings, sous l'œil abusé et en dépit des protestations du commandant du bateau et des gendarmes français en civil, l'Emir débarqua avec les siens. Seule la dépouille de sa défunte mère resta dans le navire.

Ainsi, le projet français de retour de l'Emir n'aboutit pas et permis le débarquement et l'installation de ce dernier au Caire avec tous les honneurs dus à un très haut dignitaire, champion des causes des peuples sous domination. Mais l'histoire ne s'arrête pas là puisqu'un deuxième projet de retour, cette fois ci à l'initiative de l'Emir et appuyé par les autorités Egyptienne profilait déjà à l'horizon.


II. LE PROJET DE RETOUR APPUYE PAR L'EGYPTE

En 1954, une entrée en relation se fait entre le journaliste espagnol précité et l'Emir, par le biais des services Egyptiens. Il ressort du témoignage publié par ce journaliste écrivain espagnol que l'Emir envisageait un retour sous forme de débarquement quelque part sur la côte rifaine avec un groupe de fidèles. Pour rejoindre ses partisans et se lancer contre la zone française et l'autorité du Sultan de l'époque Moulay Ben Arafa qui avait été mis sur le trône par les français, en lieu et place de Ben Youssef, déporté avec sa famille à Madagascar.


S'agissait-il de refaire l'épopée bis répétita de la guerre du Rif de 1921-1926 ? Les donnes, selon Abdelkrim, avaient grandement changées. Le monde était en train de vivre le début de l'ère des décolonisations. Le Ghana avait déjà ouvert la voie. La France, à l'instar des autres puissances coloniales, avait des difficultés sérieuses avec ses colonies en Indochine, en Tunisie, au Maroc,… Le débarquement et les opérations seraient accompagnés d'émissions radio diffusées depuis le Caire. Tout ce qui était souhaité c'est que l'Espagne ferme les yeux. Qu'elle ne mette pas d'obstacle au débarquement et surtout aux livraisons d'armes qui devaient se faire. Le journaliste témoin de ce plan était sollicité de façon à ce que discrètement il fasse parvenir ces intentions au Caudillo espagnol Francisco Franco.


Mais quel pouvait être l'intérêt de l'Espagne dans tout cela ? Il était question d'amitié, de sympathie et surtout de conditions privilégiées d'expansion économique autant au Maroc que dans le monde arabe, vu qu'elle aurait contribué à la libération du Maroc. En somme, des relations de partenariat étaient une fois de plus proposées à l'Espagne. Abdelkrim revenait à ses rêves d'antan d'amitié et de fraternité hispano-rifaine dans l'intérêt bien compris des deux peuples.


Les combattants seraient les hommes d'Abdelkrim. L'armement, les fonds ? Le Conseil Egyptien de la Révolution y pourvoirait de façon inconditionnelle. Il apparaît que les autorités Egyptiennes et leur service d'intelligence planifièrent la prise de contact avec Abdelkrim autant que le soutien au Plan.


Des contacts furent également pris avec le Glaoui, auquel fut exposé le Plan et les garanties qui était réservées à ce dernier. Pleine autonomie du Sud sous son autorité, participation au gouvernement du Maroc,… Qu'est ce qui était demandé du Glaoui ? Ni plus ni moins que sa neutralité et sa sympathie au moment des combats et sa collaboration à l'heure du triomphe. Cependant, le Glaoui ne considérait pas le moment opportun. Il fallait attendre que la situation se détériore d'avantage au Nord comme au Sud. Le Glaoui considérait que la France ne l'abandonnerait jamais. Il réservait sa décision pour plus tard.


Néanmoins, le temps passait. Depuis la première entrevue au printemps 1954, entre le Journaliste Espagnol et Abdelkrim, les différents voyages de cet intermédiaire témoin, le départ du Général Mohamed Naguib, relevé par le Conseil de la Révolution, et la consolidation du pouvoir de Gamel Abdenasser, l'audience du témoin avec le Glaoui en décembre 1954, le retour de ce même témoin en Egypte en janvier 1955,… Le temps ne travaillait plus en faveur d'Abdelkrim. Mais, le problème c'était qu'il ne pouvait agir seul, il avait besoin des autres. Entre temps, la rébellion Algérienne éclatait le 1er novembre 1955. Et, par ailleurs, le retour de Mohamed V se préparait. Le premier octobre 1955, Moulay Ben Arafa quittait Rabat pour Tanger et le 30 janvier il abdiquait, pour la Côte d'Azur, tandis que le 31 Mohamed Ben Youssef revenait de l'exil avec destination Saint Germain En Laye, afin de « négocier » les conditions de son retour au Trône.


En Egypte, le Raïs avait d'autres préoccupations immédiates que le Plan du retour d'Abdelkrim pour la reprise des combats. Le projet de construction de barrage d'Assouan et la nationalisation de canal de Suez étaient autant de projets qui allaient résulter sur de sérieux problèmes. Dans la foulée, cette nationalisation du canal de Suez, qui eut lieu le 26 juillet 1956, fut suivie par la guerre éclair du Sinaï le 29 octobre, avec l'appui franco-britanique à Israël et les opérations Amilcar et Mosquetero bis.


Si le Maroc sous protectorat français avait été rétrocédé, le Rif quant à lui n'était toujours pas évacué par les Espagnols. Abdelkrim espérait toujours. Néanmoins, son émissaire espagnol auprès de Franco n'eut pas le succès escompté. Franco se refusait à toute discussion avec Abdelkrim et rechassait catégoriquement l'idée d'un accord, fut-il tacite avec ce dernier. Il ne voulait pas entendre parler d'Abdelkrim. Les blessures étaient encore profondes et les esprits ne s'étaient pas encore élargis. Le 11 avril 1957 se signait à Madrid l'évacuation espagnole. Quelques années plus tard, le 6 février 1963 Abdelkrim s'éteignait au Caire où sa dépouille demeure. Ses projets de retours n'ont pas eu lieu. Mais la question qu'on est en droit de se poser est de savoir si Abdelkrim a jamais quitté le Rif et les rifains ? Il est permis d'en douter ; les cendres de feu Abdelkrim sont toujours ardentes. 



[1] Communication au colloque organisé par la Fondation Mohamed Abdelkrim El Khattabi, à Al Hoceima, juillet 2004.


01/07/2010
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ABDELKRIM DE L'OUBLI A LA RENAISSANCE

Abdelkrim, de l'oubli à la renaissance[1].

 

Résumé:
Longtemps durant, Mohamed Abdelkrim El Khattabi avait été confiné dans l'oubli, tout particulièrement au Maroc. Abdelkrim a longtemps durant fait partie des tabous. Les travaux de feu Germain Ayache auront contribué à le sortir de l'oubli volontaire de l'histoire officielle nationale. Abdelkrim est redevenu d'actualité. Aujourd'hui, on assiste à une recrudescence de l'intérêt apporté à l'Emir du Rif et la guerre du Rif, autant au Maroc, qu'en Espagne ou en France. Il n'y a qu'à voir le nombre de livres, de séminaires, de projets de films et documentaires de ces dernières années. Outre la question du rapatriement de sa dépouille, voire le problème de la reconnaissance et des réparations de l'usage des armes chimiques de destruction massive par l'Espagne et la France dans le Rif.

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Le nom de Germain Ayache reste associé, en raison de ses travaux, à mohamed Abdelkrim El Khattabi et à la guerre du Rif. Quoi de plus naturel, dès lors, qu'à l'occasion de cette rencontre, en hommage à feu Germain Ayache, il soit question de celui qui symbolise le champ d'investigation du chercheur. Pendant et après la fin de la guerre du Rif, Abdelkrim fait l'actualité des journaux et revue. Il intéresse aussi les historiens, chercheurs et autres auteurs. Nombre de publications y sont consacrées, directement ou indirectement. Après l'exil à l'île de la réunion, durant deux décennies, il arrive à fausser compagnie à son escorte pour s'installer au Caire, en 1947, et où il décède en février 1963. Depuis, le Maroc est déclaré indépendant et le rôle joué par Mohamed Abdelkrim El Khattabi négligé par l'historiographie officielle et les historiens marocains, à de rares exceptions dont celle de Germain Ayache.

 

La publication des « origines de la guerre du Rif » est, à coup sûr, un évènement pour l'histoire du pays et ceux qui s'y intéressent. Néanmoins, il me faut dire, ici, que si j'ai un jour décidé d'écrire un livre sur Abdelkrim, c'est à cause de Germain Ayache. La lecture des « origines de la guerre du Rif » permet de relever une impression assez ambiguë, dans les sentiments, affirmations et conclusions de l'auteur. C'est à penser que le livre n'a pas été écrit par la même personne, on n'y retrouve pas le même fil conducteur. Quoi qu'il en soit, et quelles qu'en soient les raisons, Germain Ayache mérite amplement l'hommage qui lui est rendu aujourd'hui.

 

Deux axes font l'objet de la présente communication, primo l'état de la mémoire espagnole en ce qui concerne Abdelkrim et la guerre du Rif, et secundo, ce qu'il en est de la mémoire marocaine sur cette même question.

 

I. Abdelkrim & la guerre du Rif, dans la mémoire espagnole

 

1. Un sujet d'actualité

Près de neuf décennie, depuis la guerre du Rif, qu'en est-il de la place occupée, aujourd'hui, par la guerre du Rif et Mohamed Abdelkrim El Khattabi, dans les mémoires collective et individuelle espagnoles ? Le nombre de livres et écrits publiés, chaque année, en Espagne est impressionnant. Le nombre de sites Internet qui s'y réfère tout autant. De même que les travaux de recherche académiques, les films et documentaires de télévision. Jusqu'aux associations et députés espagnols qui n'hésitent pas à mettre à l'ordre du jour des questions aussi sensibles que la guerre chimique contre le Rif. Si d'aucuns reconnaissent la responsabilité historique de l'armée espagnole, d'autres se refusent à y croire et à en discuter. C'est dire si la question est encore aujourd'hui d'actualité.

 

Si, à l'époque, au moment de la guerre du Rif, ainsi qu'à sa fin, on peut comprendre le nombre d'éditions d'ouvrage en langues espagnole, française et autres. On est étonné, qu'aujourd'hui encore, le personnage, ainsi que l'événement suscitent autant d'intérêt chez nos voisins ibères. Chaque année, il se publie en Espagne entre trois et cinq livres sur le sujet. Sans parler des articles de revues spécialisées et travaux de recherches universitaires.

 

2. L'intérêt des médias et web

Outre, la présence dans les livres, on a pu se rendre compte, également, de l'intérêt des médias audio visuels, des chaînes de télévisions espagnoles et des radios espagnoles pour la question. Un grand nombre d'émissions y ont en effet été consacrées et /ou sont en cours.

 

Un petit tour sur le Web permet de se rendre compte du nombre impressionnant de sites en espagnol (9460) sur « abdelkrim – rif »  ou en catalan (26.600) qui portent sur « Abdelkrim Khattabi » et 151.000 sur « guera del rif ». Abdelkrim a marqué les esprits et continue de les marquer. Les uns l'encensent et s'y solidarisent, tandis que les autres le diabolisent et le haïssent. La radio nationale espagnole (RNE) « radio nacional de españa » vient encore récemment de réaliser un reportage élaboré par Juan Carlos Brazques sous le titre de « l'ombre d'Abdelkrim  : la guerre du rif » (la sombra de abdelkrim : la guerra del rif), diffusée le 13/10/2007. L'épopée d'Abdelkrim demeure présente et vive dans la mémoire et conscience des espagnols.

 

3. L'intérêt des politiques et militants

Mais il n'y a pas que les médias qui s'y intéressent. Des politiques et des militants associatifs aussi. Je ne parle pas des nationaux, mais des espagnols, catalans et autres. Ainsi, la « plataforma de la marañosa », qui représente une plate forme regroupant plusieurs associations espagnoles militent pour la fermeture de la « marañosa », cette fabrique qui avait servi à produire une partie des armes chimiques de destruction massive qui ont été utilisées contre le Rif. Dans leurs actions, ce mouvement qui souhaite la fermeture de la « marañosa », qui soit dit en passant, continue à produire des armes prohibées par les conventions internationales rappelle le rôle de cette fabrique contre Abdelkrim, le Rif et les rifains.

 

4. Le Rif aux Cortès

Sur un tout autre plan, celui des politiques, le Groupe de recherche sur la guerre chimique contre le Rif a trouvé auprès de l'ERC, (Esquierda républicana per catala), un grand soutien dans l'affaire de la guerre chimique contre le Rif. Des députés catalans se sont déplacés dans le Rif, ils ont pu visiter le Rif, rencontrer des personnes, entendre, écouter et comprendre ce qui s'est passé, les souffrances passées et présentes, l'injustice commise à l'égard du Rif, en violation des préceptes les plus élémentaire,… C'est à partir de là que nous avons rédigé avec les amis catalans un texte destiné aux Cortès, qui rappelle ce qui s'est passé, exige reconnaisse officielle et aboutisse sur des réparations. Nous avons été invités et introduits aux Cortès. J'ai pu personnellement, et au nom du Groupe de recherche sur la guerre chimique contre le Rif, prendre la parole, au sein du parlement espagnol, devant les députés et les cameras de télévisions espagnoles, et expliquer les tenants et aboutissants de cette grave affaire.

 

5. La question de la reconnaissance, de la condamnation et de la réparation

Les médias espagnols ont relié l'information. Force est de préciser, ici, qu'au même moment les médias marocains avaient été informés sans que cela produise un quelconque intérêt. Le texte déposé par les députés Maria Bonas et Juan Tarda a été déposé et a été publié au Bulletin Officiel des Cortès. La discussion de ce texte a fait l'objet de plusieurs reports. Et finalement, en raison d'un vote d'alliance contre nature, regroupant le PSOE et le Parti Populaire, le texte a été rejeté et n'a pas passé le cap de la discussion. Vous imaginez la campagne, les insultes, injures et intimidations auxquels ont du faire face les députés en question. La question de la réparation, au-delà des suites ayant été réservées, jusqu'à présent, à l'affaire de la guerre chimique contre le Rif, les principes et règles démocratiques d'un Etat de droit ont permis de poser sans ambages le problème et de le porter dans le saint des saints démocratiques, à savoir le parlement espagnol.

 

6. Archives et démocratie

Lorsqu'on voit les archives espagnoles, la conservation qui se fait dans les bibliothèques espagnoles des faits, actes et évènements en rapport avec le Rif et Abdelkrim, force est d'affirmer que les institutions espagnoles restent l'un des grands dépositaires d'une partie importante de l'histoire de notre pays. Les archives sont ouvertes aux chercheurs et personnes intéressées sans limites. Il n'y à pas longtemps, un rapport essentiel, le rapport Picasso, du nom du général espagnol, qui avait été chargé de rendre compte des évènements et responsabilités de la bataille d'Annoual a été publié.

 

Nous avons encore beaucoup à apprendre en terme de démocratie, de liberté, de droits de l'homme,… des pays occidentaux. En dépit, du caractère honteux et scandaleux de l'histoire, les institutions concernées ne cachent pas ce qui s'est passé. Les archives ne sont pas détruites, elles ne sont pas dérobées à l'examen du chercheur, elles sont au contraire conservées et mises à sa disposition. Elles font partie d'un patrimoine historique.

 

Le regard que l'on peut porter sur la mémoire espagnole, au sujet d'Abdelkrim et de la guerre du Rif est dual. Cette mémoire espagnole est aussi bien matérielle qu'immatérielle. L'oralité, les témoignages de ceux qui ont vécu l'évènement ou certaines parties de l'évènement, est consacrée par les documents écrits et autres supports matériels.

 

II. Abdelkrim & la guerre du Rif, dans la mémoire marocaine

 

1. La renaissance de la mémoire collective marocaine

Chacun d'entre nous ici conviendra, aisément, que l'Emir Mohamed Abdelkrim El Khattabi demeure, aujourd'hui plus que jamais, présent dans la mémoire collective marocaine, et tout particulièrement chez les rifains. Cependant, cette présence est issue des transmissions orales que nos parents et grands parents ont bien pu nous transmettre. L'enseignement officiel, dispensé au pays, n'apprend pas grand-chose sur l'homme, la guerre du Rif et la pensée politique de l'Emir. Ce que j'ai pu en apprendre, au-delà des transmissions orales, je l'ai su en grande partie grâce aux livres espagnols, français et anglais. J'ai été étonné, lorsque étudiant, fréquentant les bibliothèques espagnoles et françaises j'ai pu me rendre compte de la place occupé par la guerre du Rif et Abdelkrim chez ses ennemis d'hier. On en apprend bien plus sur soi chez les autres que chez soi.

 

Ce n'est qu'avec ce que l'on appelle la nouvelle ère qu'un regain d'intérêt a commencé à s'exprimer au sujet de Mohamed Abdelkrim El Khattabi et la guerre du Rif. Des livres rédigés par des auteurs marocains sont venus enrichir la bibliothèque nationale. Des colloques et journées d'études ont été depuis organisées régulièrement avec au moins une rencontre annuelle.

 

2. Abdelkrim sans Fondation

Une Fondation portant le nom de l'Emir a même pu voir le jour avec l'alternance, déclarée même d'utilité publique, sans que cependant elle fonctionne réellement en dépit des volontés des uns et des autres qui ne manquaient pas. Un colloque international a pu être organisé sur Al Hoceima sous le thème de l'installation de Mohamed Abdelkrim El Khattabi en Egypte. Une autre Fondation à l'initiative de feu le docteur Omar El Khattabi est restée aussi sans lendemain.

 

3. Qui est Abdelkrim ?

Un sondage organisé, il y a trois ans, par un journal marocain posait la question de savoir qui était Mohamed Abdelkrim El Khattabi ? Les réponses sont surprenantes et saugrenues : (Président du conseil municipal d'El Jadida, joueur de foot, militant de l'Istiklal,…). Certes, un certain nombre de journaux consacrent assez régulièrement, chaque année, un papier à la bataille d'Annoual. Mais quoi de plus étonnant que l'article de l'année dernière, du journal Le Matin du Sahara, puisse arriver à écrire un article sur la bataille d'Annoual sans nommer Mohamed Abdelkrim El Khattabi.

 

4. Le rapatriement de la dépouille de l'Emir

Un épisode mérite d'être conté. L'IER avait pensé clore ses travaux en les couronnant avec le rapatriement de la dépouille de l'Emir, depuis le Caire. Lorsque l'IER se rendit compte qu'elle ne pouvait le faire sans conditions, elle abandonné tout simplement le projet. Les partis politiques, d'une façon générale, n'ont exprimé aucun intérêt à la question. Seuls quelques journaux libres s'en sont fait l'écho.

 

5. Les groupes de recherches et publications

Plusieurs groupes de recherche ont vu le jour ces dernières années : Le Groupe de recherche Mohamed Abdelkrim El Khattabi, Jamiat Ad Dakira, le Groupe de recherche sur la guerre chimique contre le Rif,… Plusieurs colloques et/ou journées d'études sont organisés régulièrement sur Abdelkrim El Khattabi, la guerre du Rif,… Plusieurs écrits ont été publiés, encore que le volume ne soit en rien comparable avec ce qui se fait ailleurs.

 

6. La guerre chimique contre le Rif

Mais, il n'y a pas que le rapatriement de la dépouille de Mohamed Abdelkrim El Khattabi qui n'intéresse pas. C'est le cas aussi de la guerre chimique contre le Rif. Lorsque nous avons voulu tenir un colloque international sur la question, nous avons eu toutes les difficultés et tracasserie administratives. Incompréhensibles au demeurant. L'Etat marocain n'accorde aucun intérêt au sujet. Lors de l'invitation du Groupe de Recherche sur la Guerre Chimique contre le Rif, au parlement espagnol, les chaînes de télévision marocaines ont été invitées, en vain. Aucune n'a répondu à l'appel.

 

Si dans le Rif, l'usage des ACDM est encore présent, aussi bien dans les esprits que physiquement, d'aucuns s'interrogent, dans le reste du pays, s'il y a vraiment eu une guerre chimique contre le Rif.

 

Mais, que s'est-il passé au juste ? Lors de la guerre du Rif, entre 1921 et 1926, il a été fait usage, principalement par l'Espagne et subsidiairement par la France, d'armes chimiques de destruction massive (ACDM). Ces armes était connues sous des euphémismes : gaz toxiques, bombes spéciales, bombes X,… En fait, il s'agit d'ypérite (gaz moutarde), de chloropicrine et de phosgène. La qualification consacrée, aujourd'hui, pour la désignation de ces armes est celle d'armes chimiques de destruction massive. Et le plus grave, dans toute cette histoire, c'est que les effets de ces ACDM se font encore ressentir de nos jours dans le Rif et ses populations. Longtemps durant, on ne comprenait pas pourquoi il y avait un taux démesurément élevé de cancers du pharynx et du larynx chez les populations rifaines ? Des études scientifiques, faites par des experts généticiens internationaux reconnus et travaillant pour le compte des nations unies et d'institutions sérieuses affirment, sans ambages, au terme de leurs recherches que les armes en question se trouvent avoir des effets cancérigènes et mutagènes, de générations en générations.

 

Considérations finales

Aujourd'hui, en France, l'Etat français revient, d'une façon générale, sur les lois mémorielles. Il n'est plus question de magnifier les « bienfaits de la colonisation », ou de dire aux professeurs ce qu'ils doivent obligatoirement enseigner.  Pas loin de chez nous, nos voisins rapprochés ne cessent de réclamer des excuses, voire réparation de l'Etat français pour la colonisation et la guerre d'Algérie. Récemment, la Libye a obtenu, de l'Italie, réparation matérielle pour les préjudices subits du temps de la colonisation. En ce qui concerne le Maroc, seule la société civile, ou tout au moins une partie, milite en faveur de la question et récemment, deux partis politiques viennent de s'exprimer pour une réparation. Abdelkrim, de son vivant a milité pour le recouvrement de l'intégrité territoriale de l'ensemble du Maroc, dont le Sahara. Aujourd'hui, le Maroc dispose d'atouts historiques, politiques et autres dont il tarde à se servir.

 

A bon entendeur salut.



[1] Communication à la journée en hommage à Germain Ayache. Rabat, le 3 décembre 08. Faculté des lettres.


09/06/2010
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DE QUELQUES ENSEIGNEMENTS DE LA REVOLUTION RIFAINE ET DE LA PENSEE POLITIQUE DE MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI

DE QUELQUES ENSEIGNEMENTS DE LA REVOLUTION RIFAINE ET DE LA PENSEE POLITIQUE DE MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI

                                          Dr : Mimoun Charqi *

Avant toutes choses, je voudrais féliciter les organisateurs et les remercier d'avoir bien voulu de m'inviter à participer à cette rencontre commémorative de l'événement d'Annoual. En cette occasion, je voudrais intervenir sur la lecture et les enseignements que l'on peut retenir, d'une part, de la révolution rifaine et, d'autre part, de la pensée politique de Mohamed Abdelkrim ElKhattabi.

I – LA REVOLUTION RIFAINE

De prime abord, il convient de noter que les enseignements qui peuvent être tirés de la révolution rifaine sont multiples. Cette communication n'a pas pour ambition de les passer tous en revue. La révolution rifaine ne commence pas avec Abdelkrim, mais avec ce dernier elle s'organise et atteint son apogée. Parmi les événements marquants de la révolution rifaine, il peut être retenu l'épisode de BouHmara, celui de Sidi Wariach et du" Barraco DEL Lobo", l'avant et l'après Annoual, puis les particularités de la révolution rifaine. Mais avant voyons ce qu'il en est du contexte.

1- Le contexte

Il parait, au regard de l'histoire, de la sociologie et de l'anthropologie, que les rifains ont toujours été réfractaires à la domination. Les espagnoles, installés à Melilla depuis 1497, n'eurent jamais une occupation tranquille. Le harcèlement exercé par les tribus limitrophes fut probablement discontinu, pour des raisons diverses, mais ce harcèlement fut réel. La particularité de la région , des us et coutumes , des règles sociales, administratives, politiques et autres, les donnes de l'époque du début du 20e siècle font que le Rif , à l'instar des autre région du Maroc , était souvent en dissidence vis-à-vis du pouvoir central. L'autorité religieuse était souvent en indiscutablement reconnue au Sultan, tandis que l'administration des affaires des tribus était exercée par les conseils, chefs naturels des tribus. L'administration du Rif se faisait selon deux paliers. Une démocratie locale représentative des paysans propriétaires, le pouvoir locale de la " j'maat " s'occupant de la gestion des affaires de la tribu. Tandis que, l'autorité du Sultan apparaissait pour ce qui est du prélèvement des impôts, en argent ou en contribution humaine militaire, voire pour le règlement des litiges entre les tribus. Les dissidences faisaient l'objet de représailles qui ramenaient l'ordre dans le cours des choses.

2-Jilali Zerhouni : AsSoltan Bou Hmara

C'est dans le contexte ci-dessus, qu'au début du 20e siècle, en 1902, Bou Hmara réussit à s'installer dans le Rif et à convaincre certaines tribus de sa légitimité, en tant que Sultan. Toutefois, toutes les tribus ne reconnaissaient pas son autorité. C'est ainsi que vers 1908, Bou Hmara engagea une vaste campagne de répression et de châtiment des tribus insoumises. La campagne militaire de BouHmara vint se briser sur la tribu Ait warYaghers et fur et à mesure que son armée se repliait toutes les tribus, précédemment mises au pas, reprenaient leur revanche. Cet événement est important pour au moins deux raisons : Tout d'abord, c'est la première fois que l'on assiste pour le début du 20e siècle à une coalition des tribus rifaines. Ensuite, ce méme phénomène allait se répéter quasi à l'identique avec Annoual et le retrait puis la fuite des espagnols.

3- Sidi Wariach et le "Barraco del lobo

Mais l'épisode de Bou Hmara et l'événement d'Annoual ne sont pas les seuls actes que l'histoire retient de la révolution des rifains contre l'oppression et la domination. Déjà, en 1893, la guerre de Sidi Wariach, puis en 1909 celle de Melilla contre les espagnols sont des dates importantes. Cette derrière donna lieu à un désastre militaire espagnol au lieu dit "El Barranco DEL lobo», non loin du mont Gourougou. Les espagnols considèrent cette défaite aussi importante et sanglante que celle d'Annoual.

4- L'avant Annoual et l'après Annoual

Si Annoual reste l'événement que le collectif et la mémoire marocaine retient le plus dans la révolution rifaine contre les espagnoles, il n'en reste pas moins que d'autres dates et événements sont tout aussi importants. Il s'agit de tout ce qui précède Annoual et tout ce qui vient après Annoual. Avant Annoual, le serment dit de jbel ElQama est en ce sens important pour au moins deux raisons fondamentales: Primo, les rifains y ont décidé le renfort des effectifs et secondo le serment de rester unis et de se battre sous le commandement d'Abdelkrim. D'har Oubarane, Sidi Driss, Ighriben, Sidi Brahim, sont également des batailles décisives. Après Annoual vient Jbel Aroui, et d'autres lieux de batailles jusqu'aux limites avec melilla. Puis ensuite vers l'Est en territoire des Jebalas et vers le Sud en territoire sous autorité française.

5- Les particularités de la révolution rifaine

Mais quelles sont les particularités de la révolution rifaine? Tout d'abord, c'est une réaction au danger et elle n'a pu réussir qu'à partir du moment ou les rifains , avec très peu de moyens, se sont soumis à une autorité centralisée , avec une organisation , des institutions, une stratégie,… Ensuite, la révolution rifaine telle que conduite par Mohamed Abdelkrim ElKhattabi avait un projet de société, une vision.

II- LA PENSEE POLITIQUE DE MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI

A partir de la pratique, des écrits publiés d'Abdelkrim et de ceux écrits sous ses orientations, il est possible de dégager quelques éléments de ce que fut la vision et la pensée d'Abdelkrim. Humaniste, abdelkrim recherchait la réforme et le progrès du Rif dans le cadre d'un partenariat avec l'Espagne. Aussi, avant d'être un Homme de guerre, Abdelkrim fut un homme de paix.

1-Un homme de paix contraint à la guerre

Tout d'abord, Abdelkrim, aussi surprenant que cela peut paraître à première vue, est un homme de paix et non de guerre. Précurseur de la Guérilla, l'engagement politique dans le combat il ne l'a fait que parce que ses ennemis ne lui laissèrent pas le choix. Victorieux, il a toujours cherché à négocier pour une issue honorable.

2- La recherche du partenariat avec l'Espagne

Le projet sociétal et l'ambition qu'Abdelkrim avait pour le Rif est celui d'un partenariat avec l'Espagne pour le développement du Rif. Abdelkrim avait développé des amitiés sincères avec certains espagnols. Il était l'ami de certains d'entre eux. Il n'avait rien contre le peuple espagnol, néanmoins il était de toutes ses forces opposé à l'impérialisme espagnol. " Le Rif ne combat pas les espagnols et ne ressent pas de haine envers le peuple espagnol. Le Rif combat cet impérialisme envahisseur qui veut lui ôter sa liberté à force de sacrifices moraux et matériels du noble peuple espagnole. (…) les Rifains luttent contre l'Espagnol armé qui prétend lui enlever ses droits, et cependant garde ses portes ouvertes pour recevoir l'espagnol sans armes en tant que technicien, commerçant, industriel, agriculteur, et ouvrier". ( Lettre d'Abdelkrim à Luis de Oteyza, Directeur de la libertad, en 1922).

3- L'humanisme et le désintérêt d'AbdelKrim

Il fut demandé à Abdelkrim pourquoi, il n'attaqua pas Melilla, ni Fès alors qu'elles étaient a portée de main? Abdelkrim se garda de le faire pour éviter des bains de sang. Après le massacre de Jbel Aroui, Abdelkrim interdit, sous peine de mort, d'attenter à la vie des prisonniers ou des civils. A Nador, il dépêché des contingents spécialement avec la mission de protéger les populations civiles espagnoles et leurs biens. A Raissouli, il fut méme jusqu'à lui offrir le pouvoir s'il se ralliait à la révolution. " Plusieurs fois nous vous avons déclaré que notre but n'est ni le pouvoir ni l'argent, tout cela si vous le souhaitez sera pour vous", écrivait Abdelkrim à Raissouli. Les correspondances entre les deux hommes montrent clairement que le pouvoir n'exerçait pas d'attrait particulier pour Abdelkrim. Une fois Raissouli ayant choisi le camp espagnol, il fut vaincu et condamné à mort par les représentants des tribus. Pourtant, Abdelkrim réussi à épargner la vie à Raissouli et aux siens.

4- la réforme et le progrès

Abdelkrim souhaitait faire prendre exemple sur les espagnols. Il espérait que dans le cadre d'un partenariat juste et équilibré profitable pour les deux peuples, l'Espagne aiderait le Rif en apportant ses capitaux, son savoir faire, sa technologie, pour la construction des infrastructures, le développement du pays, l'exploitation de ses richesses, " Musulmans, ô mes frères , écoutez mon conseil, car le seul but que je poursuis de toutes mes forces et avec l'aide de Dieu à qui je m'en remet pour le succès, c'est la réforme et le progrès". (Télégrama del Rif, du 04 octobre 1910). De la conduite d'abdelkrim, on peut retenir le pragmatisme, le réalisme, la souplesse comme l'intransigeance et la fermeté. Tout ce qu'il souhaitait c'était la liberté, l'autonomie, le développement et le bien être du Rif.

5- La souveraineté et l'interpénétration d'intérêts.

A l'occasion des pourparlers entre les délégations rifains et espagnole ayant eu lieu en avril 1923, il apparaît que la souveraineté et l'indépendance recherchées avaient pour corollaire une interpénétration d'intérêts avec l'Espagne. Si Abdelkrim Boudra qui parlait au nom de la délégation rifaine devait le préciser ainsi: " Les concepts de souveraineté et d'indépendance que nous avons sont les mêmes, exactement les mêmes que ceux qui s'emploient en ce qui concerne les nations et pays libres. Pleine liberté d'action dans le gouvernement d'un pays par les siens en toute pureté sans ingérence étrangère quelconque. En nous basant sur cette liberté d'action, nous choisissons l'Espagne pour établir avec elle, en lui donnant le total et définitif monopole, relations d'intérpenétration d'intérêts. D'Espagne viendront des ingénieurs, des industriels, des commerçants, des hommes de science qui promeuvent le développement d'activités qui produiront des richesses profitant des éléments qui existent ici et qui nous impulsent par les chemins du progrès; cette collaboration devra être si complète que si par hasard en quelque moment notre intégrité ou l'ordre seraient en péril, nous vous demanderions des forces pour nous soutenir. Ainsi, assuré l'ordre, toute œuvre de progrès serait possible sans nécessité de tutelle qui ne va pas avec le concept d'indépendance territoriale. (…)".

CONSIDERATIONS FINALES.

Le soulèvement des rifains fut réduit après plusieurs années de combat en raison du dépoilement impressionnant de forces militaires espagnoles et françaises avec leurs armements, supplétifs et autres indigènes et surtout en raison de l'utilisation d'armes chimiques prohibées par le droit international. Pour mettre fin à l'agression démesurée contre le Rif , ses populations civiles, les animaux et la végétation, Abdelkrim après réflexion ne voyait pas d'autre voie que celle de la sagesse: une reddition sous conditions. Néanmoins, si la mobilisation et les combats de l'époque ont pris fin, la révolution rifaine quant à elle , en accord avec l'esprit et les enseignements pouvant être extraits de la pratique et de la pensée d'Abdelkrim , devrait reprendre pour vaincre le sous-développement, l'ignorance, l'exclusion, la pauvreté,… Le Rif demeure une région pauvre et quasi-enclavée. Les associations peuvent probablement faire beaucoup en retrouvant l'esprit du serment de Jbel El Qama, la pensée et la vision d'Abdelkrim pour rechercher et agir pour le développement de la région, notamment, dans le cadre d'un partenariat avec l'Espagne, la France,… Ce partenariat tant souhaité par abdelkrim. Notons que l'Espagne autant que la France ont une responsabilité historique et politique envers le Rif en raison de l'utilisation des armes chimiques. Dés lors une obligation au moins morale de contribuer au développement de la région et de ses populations. Tout cela suppose un plan d'action précis qui soit engagé dans les règles de l'art. Mais c'est là un tout autre thème...


08/05/2010
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L'ACTUALITE DE LA VISION POLITIQUE DE MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI

L'ACTUALITE DE LA VISION POLITIQUE DE MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI[1]

 

Très honorable assistance, chers amis,

Il m'a été demandé d'intervenir sur la question de l'actualité de la pensée politique de Mohamed Abdekrim El Khattabi. Thème qui en soit n'est pas évident, à première vue. L'équation entre l'actualité de la pensée politique d'Abdelkrim par rapport aux questions fondamentales du Maroc d'aujourd'hui n'est peut être pas bien évidente pour qui ne sait pas ce qu'il en est de la pensée politique de l'Emir du Rif, d'une part, et des questions politiques et institutionnelles actuelles du Maroc contemporain, d'autre part. Sans à priori, aucuns, j'essaierai de vous présenter dans quelles mesures ou limites cette équation se vérifie ou pas. Etant bien sur précisé que toutes les questions fondamentales faisant partie de la problématique politique actuelle du Maroc ne saurait être examinées. En outre, cette communication n'a pas l'ambition de cerner à fond le sujet. Disons qu'il ne s'agit là que d'un rapport introductif sur la base duquel un débat pourra s'enclencher, entre nous, tout à l'heure. C'est pourquoi, l'exposé se fera sous forme de propositions soumises à la discussion.

Mais de prime abord, quelles sont les questions du Maroc contemporain que l'on peut considérer importantes et d'actualité? On y retrouve : la lutte contre le sous-développement, le partenariat avec l'Europe, l'intégrité territoriale, les réformes constitutionnelles, la régionalisation ou l'autonomie des régions, l'équité et la réconciliation par le règlement des problèmes hérités du passé, l'amazighité, l'Islam tolérant, voire la question de l'utilisation d'armes chimiques de destruction massive contre le Rif et les rifains,...

La proposition générale, autour de laquelle s'est construit le thème de cette journée d'étude, tient à affirmer que l'Emir Abdelkrim et la vision issue de la pratique et de la pensée politique suivie ou exprimée par l'Emir du Rif est au centre des questions constitutives de l'actualité politique du Maroc contemporain. Bien sûr, une telle proposition ou hypothèse de travail tient à être étayée et démontrée. En quoi consiste dès lors cette vision et qu'en est-il de son caractère actuel? Cela nous conduit à des sous propositions diverses.

1. Le partenariat avec l'occident pour sortir du sous-développement

Comment sortir le Rif du sous développement? Déjà, au temps de l'Emir, le Rif connaissait le sous développement, l'ignorance, l'enclavement, l'isolation,... Cette situation est aujourd'hui encore fort d'actualité. Le souverain a eu l'occasion de se rendre compte, de part lui même, des injustices et de l'abandon frappant le Rif. Un plan de développement pour le Rif a été réclamé par le souverain marocain suite au dernier séisme ayant frappé la région d'Al Hoceima. A ce jour, on attend encore. Mais au delà du Rif, comment le développement du Maroc est-il pensé au plus haut niveau de l'Etat? Chacun se rappellera ce qui semblait être une boutade de la part du défunt Roi Hassan II. Faire partie de l'union européenne! Dans la foulée, l'actuel souverain préparait une thèse de doctorat de troisième cycle sur le partenariat du Maroc avec l'Europe. C'est dire si la question du partenariat avec l'Europe est d'actualité! Or, déjà au début du siècle passé, Mohamed Abdelkrim El Khattabi exprimait clairement la nécessité d'un partenariat avec l'Europe, ou plus exactement avec l'Espagne, afin de sortir du sous développement. Un partenariat bien compris, gagnant-gagnant, dans l'intérêt des deux peuples et pays.

2. Les réformes institutionnelles et autres

L'éphémère "république des tribus confédérées du Rif" ne dura pas bien longtemps. Pourtant, une véritable gageure se fit. En période de guerre, avec des combats sur tous les fronts, l'Emir, en Juriste et politique avisé qu'il était, réussit des réformes institutionnelles importantes. Un projet de constitution tout d'abord. Avec cette particularité que l'Emir se refusa à devenir le "Sultan". Ses souhaits et buts avérés étant bien autres que le pouvoir pour le pouvoir. Des réformes religieuses à l'encontre du pouvoir des Zaouias et de leurs pratiques et usages. Un état confédéré regroupant les tribus du Rif, au sens large et géographique du terme. Des réformes juridiques. Des voies de communication, des routes qui depuis sont encore les seules d'usage. Etc. Aujourd'hui encore, au Maroc, les démocrates sont convaincus de la nécessité de réformes au plan du droit, de l'Etat et des institutions pour aller vers le progrès, le développement, la démocratie,...

3. L'intégrité territoriale et le parachèvement de l'indépendance nationale

L'un des problèmes les plus épineux du Maroc contemporain demeure l'affaire du Sahara. Les accords d'Aix les bains furent ce qu'ils furent. Et l'Emir les contesta pour ce qu'ils consacraient comme situation anachronique, en particulier en ce qui concerne le Sahara. Notre ami Zaki M'bark nous en dira certainement davantage tout à l'heure. Aujourd'hui encore, l'affaire du Sahara n'est pas encore réglée. Quant aux villes et présides du Nord du Maroc, ils sont encore occupés par l'Espagne.

4. L'autonomie des régions et l'Etat fédéral

L'autonomie du Rif fait partie des questions abordées, ici et là, de façon plus ou moins claire, à travers des notions telles que la régionalisation, etc. La plus haute autorité du pays, a eu l'occasion d'exprimer à plusieurs reprises, dans ses discours, sa vision pour le développement du Maroc dans le cadre d'une politique de régionalisation. L'autonomie des grandes régions du Maroc de façon à consacrer davantage les principes de responsabilisation et de démocratisation est perçue comme une issue pour des pôles de concurrences entre les régions, sous l'autorité de la bannière rouge et étoile verte. Plusieurs colloques et rencontres se sont tenus, au Maroc, autour du terme de l'autonomie des régions. Or, là encore, Mohamed Abdelkrim El Khattabi fut un précurseur. Puisqu'il fut envisagé à plusieurs reprises, dans les plans de l'Emir, la question de l'autonomie du Rif. Bien plus, cette autonomie fut mise en pratique et le pouvoir politique exercé au début du siècle dernier.

5. Sagesse, équité et réconciliation avec le Rif

Dans le cadre des actions menées par le pouvoir central, via l'instance "équité et réconciliation", un rapprochement et de meilleurs sentiments semblent d'actualité envers le Rif. Or, le Rif se trouve avoir un symbole en la personne de l'Emir Abdelkrim. Et, justement, le pouvoir central projette, dans le cadre de la réconciliation avec le Rif et les rifains, de construire un mausolée au chef rifain et de rapatrier les restes de son corps depuis le Caire.

Force est de rappeler, à ce sujet, que lors des premières années de l'indépendance, le Rif connu les événements de 1958-59. Que le défunt Sultan Mohamed V avait rendu visite à l'Emir en sa résidence, en Egypte, et l'avait invité à rentrer dans son pays. Ce à quoi l'Emir avait exprimé certaines réserves. Comment lui demander de retourner dans son pays alors que le Rif venait de subir les tragiques et violents événements de la répression? Que plusieurs leaders rifains et autres de l'armée de libération nationale étaient liquidés? Ce à quoi le défunt Sultan aurait répondu que tout cela était le fait d'un certain parti politique. Réponse lourde de conséquences.

L'Emir se refusa à retourner dans son pays tant que l'indépendance et le recouvrement de l'intégrité territoriale des pays maghrébins n'était pas entièrement acquis. Tant que la démocratie, la liberté, l'égalité et la citoyenneté n'avaient pas droit de cité. Etc. Au delà du discours, les conditions souhaitées par l'Emir, de son vivant, sont-elles aujourd'hui réunies? Sans parler de la question de l'intégrité territoriale, qu'en est-il de la démocratie, de la citoyenneté et de l'état de droit, tout particulièrement, dans le Rif? Le Rif est-il au même niveau que Rabat, Casablanca, Fès ou Marrakech,..

Au delà de la symbolique, assez forte en soi, d'un mausolée pour l'Emir, dans sa terre natale, la réconciliation avec le Rif et les rifains passe par la mise à niveau du Rif, par un plan de développement durable et approprié bénéficiant à l'ensemble de la population locale, probablement, aussi, par la responsabilisation de ces mêmes populations et élites locales, par une régionalisation de développement conséquente,...

6. La diversité culturelle et linguistique

Le Maroc semble s'être résolument engagé, encore que timidement, dans la reconnaissance de ce que le Maroc est un pays amazigh. Que le berbère est l'une des composantes essentielles de la culture de la majorité de la population. Le mouvement amazigh, au Maroc, et là notre ami Raha nous en contera certainement davantage, milite en faveur de la reconnaissance de l'identité berbère du Maroc. Abdelkrim fut journaliste chroniqueur en chef de la rubrique en langue arabe du télégrama del Rif. Mais il fut aussi professeur de chelha, ou tarifecht. Tout comme il pratiquait l'espagnol. L'enseignement de l'amazigh est aujourd'hui fort d'actualité dans notre pays.

7. L'Islam tolérant

L'Islam tolérant et libéré de toute interprétation obscurantiste est la voie officielle prônée et suivie par le Maroc. Là encore, l'Emir fut un précurseur. Ses plus fervents adversaires furent les religieux des Zaouias ou Marabouts qui, de façon égoïste, défendaient leurs privilèges. Abdelkrim ne mena pas une guerre sainte contre les agresseurs espagnols et français. Mais une guerre de libération. Loin d'être une guerre de religion, la guerre du Rif fut une guerre contre l'agression, l'occupation et l'oppression d'un peuple libre et avide de son indépendance. Aujourd'hui, des voix s'élèvent qui se prononcent pour un Islam tolérant, un Islam prônant le grand Djihad économique de la bataille contre le sous-développement, un Islam de l'égalité des droits entre hommes et femmes, un Islam de la citoyenneté, un Islam de la séparation des pouvoirs, un Islam laïc,...

8. L'actualité de la guerre chimique contre le Rif

Enfin, je ne saurais terminer cette communication sans aborder la question de la guerre chimique contre le Rif qui, bien que n'ayant pas de rapport direct avec la pensée politique de l'émir, se retrouve aujourd'hui faisant l'actualité. Des actions sont en cours afin de demander reconnaissance et réparations pour les crimes consécutifs à l'utilisation des armes chimiques de destruction massives contre le Rif.

Au terme de ces différentes hypothèses introductives de travail nous pouvons en venir à la discussion.

                                        Dr. Mimoun CHARQI.

                                        Membre du G.R.M.A.K.

 

 



[1] Communication à la journée d'étude organisée par le Groupe de Recherche  Mohamed Abdelkrim El Khattabi et la Fondation Baït Al Mohamed Aziz Lahbabi, à Temara, le 05 février 05, en commémoration du 42ème anniversaire de la disparition de l'Emir du Rif, sur le thème : « Mohamed Abdelkrim El Khattabi et les questions du Maroc d'aujourd'hui ».


07/05/2010
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