L’EMIR MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI ENTRE L’EXIL ET LES PROJETS DE RETOUR DANS LE RIF
L'EMIR MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI ENTRE L'EXIL ET LES PROJETS DE RETOUR DANS LE RIF[1].
Le 14 février 2004 nous étions réunis, à l'initiative du Journal Le Monde Amazigh autour d'un colloque abrité par
La relation entre le thème du premier colloque et le second est à mettre en exergue. Puisque ce fut tout particulièrement l'utilisation des armes illégales et chimiques de destructions massives contre le Rif qui conduit Mohamed Abdelkrim El Khattabi à baisser les armes et à négocier avec les français les termes d'une reddition. Un accord qui ne fut pas respecté du côté français, puisqu'au lieu de se retrouver dans un pays de son choix, (le Liban ou
Autant l'histoire, de Mohamed Abdekrim EL KHATTABI, liée à la guerre du Rif, est-elle suffisamment vulgarisée auprès des personnes intéressées, autant la période de l'exil reste t-elle à explorer, à mettre en forme et à vulgariser. Aussi, le présent colloque est-il le premier jalon pour ce nécessaire travail de recherche, d'histoire et de mémoire afin de rendre hommage à un homme qui a marqué son siècle et continu à susciter l'intérêt des générations. Les braises de feu Mouray Mohand sont encore ardentes.
Les différents intervenants se pencheront sur différents aspects des années « d'exil » correspondant à l'installation de Mohamed Abdelkrim El Khattabi en Egypte, avec tout ce que cela peut soulever comme interrogations, émotions et passions. D'ores et déjà, il faut dire que l'examen approfondi et la présentation des périodes d'exil ne seront pas finies avec ce colloque ; bien s'en faut.
Avec le départ de l'île de
I. LE PROJET DE RETOUR FRANÇAIS DE L'EMIR
Les années s'écoulent sur l'île de
L'Emir se voyait proposer ni plus ni moins qu'un projet de retour dans le Rif pour la reprise des combats. Au point de vue de la forme, l'Emir serait transféré en France pour raison de santé afin de suivre une cure thermale, à Vichy ou Royat. De là, il serait discrètement débarqué dans le Rif pour la reprise des combats.
L'Emir n'avait plus grande confiance dans les français. Déjà, une première fois, lors de la reddition négociée ils n'avaient pas respecté leur engagement. Fallait-il leur faire confiance une fois de plus au risque de le regretter ? Une fois l'agent français reparti, l'Emir envoya un émissaire au Roi Farouk d'Egypte en lui expliquant la situation et en sollicitant son accord pour un asile en Egypte. La réponse ne se fit pas attendre. Non seulement le Roi Farouk marquait son accord total pour accueillir l'Emir mais en sus, au besoin et si nécessaire, la force serait employée pour son débarquement.
Une fois l'agent français revenu voir l'Emir, ce dernier lui fit part de ses conditions. Il fit mine d'accepter, sous réserve d'aller en France avec tous les siens, y compris la dépouille de sa défunte mère, et qu'il lui soit concédé un traitement digne de son rang. Toutes ses conditions furent acceptées par
Mais, force est de préciser, à ce sujet, que les avis divergent selon les sources au sujet des conditions du débarquement de l'Emir. Qui en pris l'initiative ? Comment se déroula t-elle ? Nombreux furent ceux qui s'efforcèrent de récupérer à leurs avantages politiques les conditions et la décision du débarquement et de l'installation de l'Emir en Egypte. Nul doute que nous reviendrons, tout à l'heure, au moment du débat sur cette question. Toujours est-il qu'il semble peu probable que le débarquement et l'installation aient pu se faire sans que l'Emir y ait été préparé et surtout sans qu'il ait reçu l'accord préalable du Chef de l'Etat Egyptien de l'époque. Au passage, on ne peut que rendre hommage, ici, aujourd'hui à l'attitude du Roi Farouk, encore que les mauvaises langues en disent long sur ses motivations. La thèse ici retenue qui, au demeurant, paraît fort crédible trouve ses fondements dans le témoignage du journaliste espagnol Fernando P. DE CAMBRA , [auteur du livre « Cuando Abdelkrim quiso negociar con Franco »], qui eut l'occasion de rencontrer et d'interviewer à plusieurs reprises l'Emir et les siens . Ce témoignage provient des entretiens de ce journaliste écrivain avec l'Emir.
C'est ainsi qu'une fois embarqués sur le bateau du retour et arrivés à Port Saïd, lors de l'escale du navire, les autorités Egyptiennes montèrent à bord du navire et manu militari, mitraillettes aux poings, sous l'œil abusé et en dépit des protestations du commandant du bateau et des gendarmes français en civil, l'Emir débarqua avec les siens. Seule la dépouille de sa défunte mère resta dans le navire.
Ainsi, le projet français de retour de l'Emir n'aboutit pas et permis le débarquement et l'installation de ce dernier au Caire avec tous les honneurs dus à un très haut dignitaire, champion des causes des peuples sous domination. Mais l'histoire ne s'arrête pas là puisqu'un deuxième projet de retour, cette fois ci à l'initiative de l'Emir et appuyé par les autorités Egyptienne profilait déjà à l'horizon.
II. LE PROJET DE RETOUR APPUYE PAR L'EGYPTE
En 1954, une entrée en relation se fait entre le journaliste espagnol précité et l'Emir, par le biais des services Egyptiens. Il ressort du témoignage publié par ce journaliste écrivain espagnol que l'Emir envisageait un retour sous forme de débarquement quelque part sur la côte rifaine avec un groupe de fidèles. Pour rejoindre ses partisans et se lancer contre la zone française et l'autorité du Sultan de l'époque Moulay Ben Arafa qui avait été mis sur le trône par les français, en lieu et place de Ben Youssef, déporté avec sa famille à Madagascar.
S'agissait-il de refaire l'épopée bis répétita de la guerre du Rif de 1921-1926 ? Les donnes, selon Abdelkrim, avaient grandement changées. Le monde était en train de vivre le début de l'ère des décolonisations. Le Ghana avait déjà ouvert la voie.
Mais quel pouvait être l'intérêt de l'Espagne dans tout cela ? Il était question d'amitié, de sympathie et surtout de conditions privilégiées d'expansion économique autant au Maroc que dans le monde arabe, vu qu'elle aurait contribué à la libération du Maroc. En somme, des relations de partenariat étaient une fois de plus proposées à l'Espagne. Abdelkrim revenait à ses rêves d'antan d'amitié et de fraternité hispano-rifaine dans l'intérêt bien compris des deux peuples.
Les combattants seraient les hommes d'Abdelkrim. L'armement, les fonds ? Le Conseil Egyptien de
Des contacts furent également pris avec le Glaoui, auquel fut exposé le Plan et les
Néanmoins, le temps passait. Depuis la première entrevue au printemps 1954, entre le Journaliste Espagnol et Abdelkrim, les différents voyages de cet intermédiaire témoin, le départ du Général Mohamed Naguib, relevé par le Conseil de
En Egypte, le Raïs avait d'autres préoccupations immédiates que le Plan du retour d'Abdelkrim pour la reprise des combats. Le projet de construction de barrage d'Assouan et la nationalisation de canal de Suez étaient autant de projets qui allaient résulter sur de sérieux problèmes. Dans la foulée, cette nationalisation du canal de Suez, qui eut lieu le 26 juillet 1956, fut suivie par la guerre éclair du Sinaï le 29 octobre, avec l'appui franco-britanique à Israël et les opérations Amilcar et Mosquetero bis.
Si le Maroc sous protectorat français avait été rétrocédé, le Rif quant à lui n'était toujours pas évacué par les Espagnols. Abdelkrim espérait toujours. Néanmoins, son émissaire espagnol auprès de Franco n'eut pas le succès escompté. Franco se refusait à toute discussion avec Abdelkrim et rechassait catégoriquement l'idée d'un accord, fut-il tacite avec ce dernier. Il ne voulait pas entendre parler d'Abdelkrim. Les blessures étaient encore profondes et les esprits ne s'étaient pas encore élargis. Le 11 avril 1957 se signait à Madrid l'évacuation espagnole. Quelques années plus tard, le 6 février 1963 Abdelkrim s'éteignait au Caire où sa dépouille demeure. Ses projets de retours n'ont pas eu lieu. Mais la question qu'on est en droit de se poser est de savoir si Abdelkrim a jamais quitté le Rif et les rifains ? Il est permis d'en douter ; les cendres de feu Abdelkrim sont toujours ardentes.
[1] Communication au colloque organisé par la Fondation Mohamed Abdelkrim El Khattabi, à Al Hoceima, juillet 2004.
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