- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

ETAT DE DROIT ET CITOYENNETE ENTRE REALITES ET PERSPECTIVES

ETAT DE DROIT ET CITOYENNETE ENTRE REALITES ET PERSPECTIVES

  Communication pour le colloque national et international sur :

« La citoyenneté, projet d'Etat pour une nouvelle société ».

Université Saint-Esprit  de Kaslik. Liban.

15, 16 et 17 mars 2007.

Permettez moi, tout d'abord, de vous remercier de m'inviter à participer, aujourd'hui, à ce débat, combien important, et, ensuite, de vous exprimer mes sentiments solidaires afin que le Liban, ce pays cher au cœur, et avec lui les autres Etats de la région, trouvent la voie de la paix, de la sérénité, de la démocratie, de l'Etat de droit et de la citoyenneté pleine et effective. Ma présente communication est pensée sous forme de propositions et d'idées, à mêmes de pouvoir enclencher autour d'elles un débat.

Les notions d'Etat de droit et celle de citoyenneté apparaissent comme des concepts d'actualité dans les sociétés qui aspirent à la démocratie et à la modernité. Les discours officiels, de bien des pays, regorgent de références à ces concepts. D'où, l'intérêt de savoir ce que sont les différentes significations des concepts, qu'il est possible de relever, et, par suite, de faire la part des choses entre le discours et la réalité, puis entre les réalités et perspectives, avant de s'interroger, au titre de considérations finales, sur les modalités pratiques nécessaires et requises pour l'ancrage de l'Etat de droit et de la citoyenneté dans les sociétés qui y aspirent. Ce seront là, les trois axes de ma communication.

I. Les significations plurielles des notions de  « l'Etat de droit » et de « la citoyenneté »

Les concepts peuvent avoir des significations multiples. D'où l'intérêt de savoir exactement ce qu'il en est pour éviter toutes confusions. C'est le cas de la notion de « l'Etat de droit » et de celle de « citoyenneté ». Une citoyenneté qui suppose des valeurs et principes dont bien des personnes, de par le monde, sont exclus d'un exercice effectif. 

1. L'intérêt de connaître du sens des concepts

Les notions d'Etat de droit et de citoyenneté ont des significations plurielles. Les définitions et sens des concepts utilisés ne s'accordent pas toujours entre eux et, à la limite, peuvent se situer l'un aux antipodes de l'autre. D'où l'intérêt à se pencher sur les définitions afin d'éviter toutes confusions et de savoir exactement ce que l'on entend et de quoi l'on parle. 

2. L'Etat est-il le droit ?

Prenons le cas de la notion d'Etat de droit. Par définition, si l'on en croit Hans Kelsen(1), l'Etat c'est le droit et inversement le droit c'est l'Etat. Ainsi, si l'on admet cette assertion, par définition, tous les Etats seraient des Etats de droit. Or, il semble que, tout éminent juriste et philosophe du droit qu'il soit, Hans Kelsen ne semble pas avoir entièrement raison quant il affirme que l'Etat c'est le droit. Car, le principe de réalité permet de constater que l'Etat peut exister sans respecter son propre droit. Peut on alors encore parler d'Etat de droit ? Faudrait-il opposer la notion d'Etat de droit à celle d'Etat de non droit ? Comment qualifier un Etat non respectueux du droit international des droits de l'homme, ni même de son propre droit ? Faut-il le préciser ? L'Etat de droit peut aussi être un Etat de droit injuste, inéquitable, odieux, barbare,… Ainsi, l'Etat de droit peut être autre que juste, légitime et conforme aux standards internationaux des droits de l'homme ! Mais, au-delà de ces considérations de théorie générale du droit, il est usuel d'entendre, lorsqu'on parle d'Etat de droit qu'il s'agit d'un Etat de droit respectueux des grands principes que sont la démocratie, la citoyenneté et les droits de l'homme.

3. L'exercice entier et effectif de droits

La citoyenneté (2) n'est pas une simple déclaration, ou proclamation, figurant dans des textes. La citoyenneté est la possibilité de pouvoir exercer effectivement et pleinement des droits selon un standard minimum de civilisation, avec tout ce que cela peut comporter comme valeurs : La liberté d'expression et d'action pour autant qu'elle prônent des valeurs saines et pacifiques. La présomption d'innocence, le droit à des égards, le droit à la dignité, le droit à une vie décente, à la santé, à l'égalité, à l'intégrité physique, etc., sont des valeurs et principes requis pour l'Etat de droit, la citoyenneté et la démocratie. 

4. Des valeurs et principes

        Si la citoyenneté suppose l'existence et l'exercice d'un ensemble de valeurs et principes, ces mêmes valeurs et principes supposent des conditions requises aux fins d'ancrage de l'Etat de droit, de la citoyenneté et de la démocratie dans un pays :

          -         la pression internationale ;

          -         la paix sociale, économique, politique, …

          -         le développement de la culture des droits de l'homme ;

          -         l'éradication de la pauvreté, de l'analphabétisme,…

          -         la séparation des pouvoirs et autres confusions d'intérêts ;

          -         la tolérance ;

          -         l'intégration, plutôt que l'exclusion sociale ;

          -         etc.

5. Les exclus de la citoyenneté

Tout comme dans la Grèce antique, certaines catégories (les femmes, les étrangers, les métèques et les esclaves) étaient exclues de la citoyenneté, il faut reconnaître  que tout un chacun, dans les sociétés et Etats d'aujourd'hui ne bénéficie pas de l'ensemble des attributs de la citoyenneté. Notons qu'avec l'Empire romain, la citoyenneté a vocation universelle sans critère d'origine ethnique, puisque les étrangers peuvent y accéder. Aujourd'hui, la citoyenneté n'est pas la même selon les ressortissants de tels ou tels pays. Et au sein d'un même Etat, tous les individus ne jouissent pas du même degré de citoyenneté, selon qu'ils soient nantis ou pas, selon qu'ils soient détenteurs de pouvoirs ou pas.

II. Discours, réalités et perspectives de l'Etat de droit et de la citoyenneté

Les discours politiques sur l'Etat de droit, la citoyenneté et la démocratie relèvent souvent de la seule sphère idéologique et ne s'accordent pas toujours avec les réalités. Quant aux perspectives à venir, elles dépendent étroitement principalement d'une prise de conscience et de revendications des concernés, puis accessoirement, de la pression et de l'environnement extérieur.

1. Les discours sur la citoyenneté

La référence aux notions d'Etat de droit, de citoyenneté et de démocratie ne serait-elle qu'un effet de mode, sous la pression internationale ? On a pu voir, au niveau de l'union européenne, ce que sont les conditions exigées des Etats aspirant à devenir membres de la communauté européenne, tel que la Turquie. L'opinion publique, surtout internationale, se retrouve souvent servie un discours sur des valeurs et principes universels. Les opinions nationales des Etats concernés ne sont pas en reste. Ce discours participe bien plus à de l'idéologie qu'à une volonté politique de changement et de mise en place des instruments et moyens à même d'assurer le règne de l'Etat de droit et de la démocratie en consolidant la citoyenneté.

2. Les règles juridiques et les règles politiques

Bien souvent, malheureusement, notamment dans les relations internationales, il a été affirmé que la règle juridique prime la règle politique, pour justifier des agissements en marge voire en violation du droit. Il est curieux de relever que les démocraties, pourtant soucieuses du respect de leurs droits internes, et de leurs conditions de forme et de fond quant il s'agit de leurs relations internes respectives n'ont pas toujours la même attitude à l'international. C'est le cas, notamment, d'Israël, et des Etats-Unis d'Amérique.

3. L'Etat de droit

Néanmoins, au-delà de ces considérations théoriques, toujours est-il que nombre d'Etats candidats déclarés à la démocratie utilisent dans leurs discours la référence à la notion d'Etat de droit, voire même à celle d'Etat de droit économique en raison d'une volonté de rassurer des investisseurs étrangers craintifs de l'insécurité juridique. Toujours est-il que l'Etat de droit effectif est un « préalable nécessaire à la démocratie, elle-même gage de l'effectivité citoyenne »(3).

4. Le combat pour la citoyenneté

Si l'on dit que « le combat pour la citoyenneté n'est jamais terminé », encore faut-il que partout il ait commencé. La citoyenneté peut se retrouver en crise(4). Des Etats développés souffrent de ce problème. Il n' y a qu'à voir ce qui s'est passé, en France, avec les émeutes des banlieues. La résidence ne signifie pas forcément la citoyenneté. D'aucuns, en appellent à une citoyenneté de résidence.  La crédibilité de L'Etat apparaît eu égard au comportement des personnes à l'occasion des élections. Participent-ils ou s'abstiennent t-ils de voter, car convaincus que les tripatouillages feront que leurs volontés ne seront pas respectées.

5. Des préoccupations citoyennes diverses

Les préoccupations vis-à-vis de l'Etat de droit, de la citoyenneté et de la démocratie ne sont pas identiques selon les Etats : Paix sociale, statut du citoyen, droits et libertés, Etat providence, vote, débat citoyen, représentation et participation politique, pluralisme culturel, parité hommes femmes, droit à la vie et à l'intégrité physique,…

6. Citoyenneté et démocratie

La notion de citoyenneté, quant à elle, participe aussi aux discours des Etats se voulant engagés vers la démocratie. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les démocraties consolidées, à l'inverse des Etats déclarant aspirer à la démocratie, ne ressentent pas, ou peu, le besoin d'utiliser dans leurs discours les références à ces concepts. Mais qu'est ce que la citoyenneté ? Peut-on valablement opposer la notion de citoyen à celle de sujet ? Rien ne serait plus faux ! Il est des sujets, comme c'est le cas des sujets de Sa Majesté britannique, qui sont  des citoyens à part entière. Tandis que des citoyens annoncés de nombre d'Etats candidats déclarés à la démocratie, tout au moins au niveau du discours, sont loin de jouir de tous les attributs de la citoyenneté. Finalement, il apparaît que les notions d'Etats de droit et de citoyenneté sont indissociables de celle de démocratie. Il n'y a pas d'Etat de droit, ni de citoyenneté véritables sans démocratie. Quant à la Démocratie, elle ne se décrète pas, elle se pratique. D'ailleurs, si la citoyenneté dans les pays occidentaux s'apparente au droit de vote, dans les pays candidats à la démocratie, à l'Etat de droit et à la citoyenneté, cela ne saurait se limiter à un hypothétique droit de vote. La forme et le fond étant des choses bien différentes. Si la citoyenneté ne s'acquiert pas à la naissance, par contre elle est le fruit de toute une série de volontés, de tout un processus, de tout un ensemble de mesures et d'exercice effectifs de droits sociaux, économiques, politiques, culturels,…

7. Les degrés de citoyenneté

Les notions d'Etat de droit et de citoyenneté semblent dévoyées, tellement elles ont pu être galvaudées et utilisées à tord et à travers à desseins politiques. Le citoyen est porteur et jouit d'un ensemble de droits et devoirs. L'appartenance à un groupe social étatique, national ou autre, ne fait pas, ipso facto, de l'individu un citoyen à part entière. A moins de considérer qu'il y aurait des degrés de citoyennetés selon les types de pays. Les niveaux ou stades de développement économique, culturel, politique, démocratique et autres contribuent au façonnement et au rayonnement ou pas de l'Etat de droit et de la citoyenneté. D'aucuns parlent aujourd'hui de citoyenneté mondiale, de citoyenneté universelle, européenne, dépassant ainsi la citoyenneté liée à l'Etat nation. Mais là encore, il faut faire la part des chose entre l'être et le devoir être. Notons que, bien souvent, l'Etat-nation(5) centralisé et unitaire va à l'encontre de la démocratie et de la citoyenneté.

8. Les conflits et la citoyenneté

La multiplication des conflits et tout particulièrement ceux dans lesquels sont partie prenante les Etats Unis d'Amérique ne semblent pas permettre l'émergence, le développement et la consolidation de l'Etat de droit, de la citoyenneté et de la démocratie. Ce qui est sûr et certain, c'est que l'on ne peut pas imposer la démocratie, l'Etat de droit et la citoyenneté par la force des canons et des bombes. C'est ce qu'on a pu voir dans le cas de l'Irak, de l'Afghanistan, de la Palestine, du Liban,…

9. Le droit et la citoyenneté

L'aspect juridique de la citoyenneté veut que le citoyen soit titulaire de droits et devoirs : droits de l'homme, droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels. Le droit international des droits de l'homme reconnaît tout cela. Toujours est-il qu'il y a bien souvent un hiatus entre le droit et la réalité. Droits et citoyenneté ne s'octroient pas naturellement. Cela suppose une prise de conscience, des réclamations, un long processus,… 

10. Le politique et la citoyenneté

L'aspect politique de la citoyenneté voudrait que l'individu et tout particulièrement l'ensemble des individus, (le peuple) soit détenteur de la souveraineté. Souveraineté politique, nationale, populaire. D'où le lien avec les élections, la représentation, les mandats électoraux, la démocratie,…

A l'instar des degrés ou niveau de développement et /ou de sous développement, on peut relever des degrés et niveaux différents en matière d'Etat de droit, de citoyenneté réelle ou déclarée de démocratie effective ou d'annonce, de totalitarisme,…

Mais l'utilisation idéologique des concepts et valeurs au niveau du discours peut conduire à un retour de l'idéologie sur elle-même. C'est ce que le professeur Charles Chaumont(6) appelle « l'effet boomerang de l'idéologie », ou le retour de l'idéologie sur elle même. 

III. Conditions requises pour l'ancrage de l’État de droit et de la citoyenneté

Les conditions nécessaires à un ancrage de l'Etat de droit et de la citoyenneté, dans une société donnée, sont multiples et diverses selon les Etats et sociétés. Mais qu'en est-il des plus importantes ? 

1. Développement et citoyenneté

Quel rapport entre développement, d'une part, et Etat de droit, citoyenneté et démocratie, de l'autre ? La pauvreté, l'instabilité politique, les guerres et autres conflits armés peuvent-ils assurer l'Etat de droit, la citoyenneté et la démocratie ? La paix sociale, économique, politique et autre est nécessaire à l'existence de l'Etat de droit, de la citoyenneté et de la démocratie. 

2. Séparation des pouvoirs et citoyenneté

 Qu'en est-il de la séparation des pouvoirs ? Traditionnellement, l'on distingue trois pouvoirs qu'il faut séparer afin d'éviter l'absolutisme et les abus : le judiciaire, le législatif et l'exécutif. Force est cependant de rappeler que ce ne sont pas là les seuls pouvoirs qui existent dans une société et qu'il conviendrait de séparer afin de pouvoir assurer l'Etat de droit, la citoyenneté et la démocratie. Il faudrait tenir compte du pouvoir chaque jour plus croissant des médias, ainsi que du pouvoir économique et financier, puisque c'est là bien souvent le véritable pouvoir. Lorsque le détenteur du pouvoir attenant aux affaires, aux business, conquiert le pouvoir politique, ou inversement lorsque le détenteur du pouvoir politique se lance dans la course aux affaires, il n'est guère évident d'assurer le règne de l'Etat de droit, la citoyenneté et la démocratie.

3. La loi et la citoyenneté

Les lois sont-elles suffisantes pour asseoir l’État de droit, la citoyenneté et la démocratie ? Surtout dans les Etats n'ayant pas de tradition en matière de droits de l'homme ? Assurément, la loi ne vaut que dans la mesure où elle est respectée et appliquée. Non seulement la loi doit être bonne pour ainsi dire : juste et équitable, (car elle peut être tout le contraire), mais en sus il faut qu'elle soit respectée et surtout appliquée. 

4. L'éducation à la citoyenneté

Quid du rôle de la société civile dans l'édification de l'Etat de droit, de la citoyenneté et de la démocratie ? Les révolutions, dit-on, commencent par des idées. Naît-on citoyen, ou le devient-on ? La citoyenneté est un long apprentissage, une longue et continue lutte, un combat de tous les instants. L'éducation (7) est une condition essentielle pour d'édification de l'Etat de droit, la citoyenneté et la démocratie :

          -   Éducation aux droits de l'homme et à la citoyenneté, pour la promotion des principes et valeurs démocratiques ;

           -  Éducation à la responsabilité individuelle et collective ;

           -  Éducation au jugement par l'esprit critique et l'argumentation ;

           -  Etc.

In fine, les réalités ayant libre cours, de par le monde, en matière d’État de droit, de citoyenneté et de démocratie semblent avoir encore de beaux jours devant. Les perspectives d'avenir meilleur supposent des défis importants à relever et un travail de longue haleine et de tous les instants. Car, rien n'est jamais acquis.

 

 Copyright 2007. Mimoun CHARQI

Mode de citation: Mimoun CHARQI. " Etat de droit et citoyenneté entre réalités et perspectives". http://CHARQI.blog4ever.com

 

 -------------------------------------------------------------------------------------------------

1 Hans KELSEN. Théorie pure du droit. Traduction : Eisenman. Paris. Dalloz, 1979. 330 pages. Dans un sens différent, voire Romano SANTI. L'ordre juridique.

2 Thierry HENTSCH. « La citoyenneté : exercice impossible, idée nécessaire », article in  Yves BOISVERT, Jacques HAMEL et Marc MOLGAT. Vivre la citoyenneté. Identité, appartenance et participation. Montréal, Editions Liber, 2000.

3 Clarisse Ouoba MERINDOL. Démocratie, citoyenneté et intégration sociale. Forum intergénérationnel sur la gouvernance endogène en Afrique de l'Ouest. Ouagadougou, 26 – 28 juin 2006.

4 Daniel ANTONY et Michel BOURGEOIS. Citoyenneté et république : les nouveaux enjeux de la démocratie. Franche comté 2003.

5 Hugg SEGAL. Pour une nouvelle définition de la citoyenneté : dépasser l'Etat-nation. Institut de recherche en politiques publiques. Montréal. www.irpp.org

6 Charles CHAUMONT. Le secret de la beauté : Essai sur le pouvoir et les contradictions ». Seuil. Paris. 1987.

7 Saliou SARR. L'éducation à la citoyenneté : le rôle de l'école. http://www.eip-cifedhop.org/eipafrique/senegal/cit.html

 


11/05/2010
0 Poster un commentaire

BILAN ET PERSPECTIVES DU MAROC, APRES 50 ANNEES D'INDEPENDANCE POLITIQUE

BILAN ET PERSPECTIVES DU MAROC, APRES 50 ANNEES D'INDEPENDANCE POLITIQUE[1]

Pour qui veut connaître, au jour d'aujourd'hui, le bilan de ce qu'a été la gestion des 50 dernières années du Maroc indépendant, deux travaux importants sont incontournables : celui de l'IER (Instance Équité et Réconciliation) et celui du Groupe du cinquantenaire (RDH50). Mais, pour aussi importants qu'ils soient, ces travaux comportent des imperfections. Cet article se propose d'examiner le bilan de ces 50 dernières années à travers, d'une part, les jugements de vérités et/ou de valeurs ressortant de la lecture des travaux précités et, d'autre part, les lacunes de ce même bilan, avant d'en venir, au titre des considérations finales, aux perspectives éventuelles d'avenir. Notons qu'il ne s'agit pas tant de rapporter tout ce qui a été dit dans ces travaux que de rebondir sur tel ou tel aspect ou développements.

I. ENTRE JUGEMENTS DE VALEURS ET JUGEMENTS DE VERITÉS 

I. 1. Une évaluation contestée et mitigée des rapports de l'IER et du cinquantenaire 

Un demi siècle après l'indépendance politique du pays, le débat est ouvert sur les réalisations et manquements de l'État et de ses institutions, au Maroc. Un groupe de travail s'est réuni qui, après deux années, a produit un rapport-bilan sur les 50 ans de gestion du pays. Les appréciations de ce rapport restent mitigées. Les uns l'encensent, tandis que d'autres le considèrent peu convaincant et remettent en cause son impartialité. Remarquons que ce qui est davantage remis en cause c'est le rapport de synthèse plutôt que les rapports individuels.

Au delà des remarques et des contestations, voire des remises en causes sur la forme, les qualifications, les appréciations de ce que furent tel ou tel type de gestion, de tel ou tel secteur, il convient de saluer les efforts et le travail accomplis. Car cela permet, tout au moins, une base de travail, de réflexion, de critique et de confirmation. 

I. 2. Quelle appréciation du rapport du cinquantenaire ?

Le travail du Groupe du cinquantenaire reconnaît expressément l'exclusion de régions entières. Force est de noter que l'objectivité, par moments, a tendance à se diluer au fur et à mesure que l'on passe des contributions individuelles aux rapports thématiques (ou rapport général), puis au rapport de synthèse.

Le rapport du groupe du cinquantenaire comporte indéniablement des concepts et principes fondamentaux (page 2 du rapport de synthèse) :

- « La destinée de notre pays est entre nos mains » ;

- « Les vertus du débat public sont inestimables » ;

- « Seule la pratique démocratique consolidée peut engager de manière irréversible notre pays sur les voies de la réussite ». 

Mais tout un chacun est-il convaincu par ces concepts ? Qu'en est-il de la pratique, des réalités ? Il faudrait dépasser le stade du discours idéologique et ne pas oublier la fragilité de la crédibilité et les difficultés à recouvrer la confiance. 

Le Maroc est-il réellement, comme l'affirme le RDH50, « en paix avec lui même et son passé » ? (page 3 du rapport de synthèse). Le Maroc a tant de défis à relever et à redresser. Il conviendrait d'éviter de telles formules et rester vigilant ; on ne peut sérieusement se permettre de telles affirmations.

* Prenons le secteur de l'enseignement et comparons-le à la situation du Maroc nouvellement indépendant. Certes, il y a plus de « diplômés » aujourd'hui qu'il y a 50 ans. Mais quelle est la qualité de l'enseignement dispensé ? Les diplômés de l'enseignement supérieur sont sans travail. En tout cas pour ce qui est des enfants du peuple. Car pour ceux des familles aisées et bien introduites en cour, le problème ne se pose pas. En matière d'éducation, d'enseignement et de formation, on peut affirmer sans risques de se tromper que le fiasco est total. 

* Prenons la rationalisation des choix budgétaires et la bonne gestion des deniers publics : là encore, le pays n'est pas mieux loti. Les journaux rapportent ici et là, à l'occasion, certains scandales financiers et politiques, qui ne sont que la partie visible de l'iceberg, La justice, quant à elle, demeure entièrement soumise aux ordres et l'indépendance du pouvoir judiciaire, bien que figurant en bonne place dans les principes fondamentaux du droit marocain, demeure de l'ordre du « devoir être », sans emprise réelle. Ceux-là qui, magistrats ou autres, souhaiteraient faire assurer ou respecter le règne de la loi, s'y risquent à leurs dépends. 

* Prenons d'autres exemples. La pauvreté est galopante. Les économies de rente tiennent le haut du pavé. Les privilèges se développent en faveur d'une poignée d'heureux. Le peuple et le petit peuple sont ailleurs. La société est une société à deux, sinon plusieurs vitesses. Les partis politiques ont perdu leur crédibilité. 90 % des jeunes ne croient pas en la politique. Les partis politiques se multiplient à l'infini. Les syndicats aussi perdent de leur crédibilité. Les militants qui souhaitent s'engager sérieusement le font dans l'associatif. Droits de l'Homme, associations de développement, moralisation de la vie publique... Encore que la gangrène est là qui les menace aussi. 

Ce qui est pour le moins paradoxal c'est qu'au début du siècle ce pays faisait l'objet de bien des convoitises de la part des colonies et des colons européens. Aujourd'hui, un grand nombre de nationaux souhaitent quitter le pays, et s'expatrier, souvent au péril de leur vie, dans les pateras et autres moyens d'infortune.

Les illustrations du sous-développement sont nombreuses. Peut-on, dès lors, se féliciter de ce qu'est le Maroc après 50 années d'indépendance politique ? Peut-on être fiers et dignes de notre réalité ?

I. 3. Des développements objectifs et des affirmations de complaisance 

Une lecture critique du rapport du cinquantenaire permet de faire la part des choses entre des développements objectifs, sans complaisance, et d'autres beaucoup plus contestables. 

Le titre même du rapport de synthèse semble, sinon réducteur, fort complaisant et ne reflétant guère la réalité. Le Maroc est-il un pays développé pour que l'on puisse parler de « 50 ans de développement », de surcroît « humain » ? Cela paraît assez osé ! On est en droit de se demander pourquoi de telles attitudes et affirmations pour un travail qui se veut objectif et scientifique ? Le peuple est ignorant, comme disait l'autre, et cela est sans impact sur ce qui le concerne. D'ailleurs, il ne croit que ce qu'il voit. Quant aux intellectuels dignes de ce nom et aux institutions étrangères, on ne la leur conte pas. A priori, un regard critique sur le titre du rapport induit le doute avant même d'avoir commencé à prendre connaissance du reste. 

Autant le rapport séduit par sa franchise, dans la plupart de ses développements et autant il peut être simple et aisé à lire, autant, à l'occasion, il déçoit par certains passages complaisants. 

I. 4. Les marginalisations et exclusions 

L'évolution des populations et régions marocaines n'est guère égalitaire et uniforme, mais plutôt fort disparate. Le potentiel humain du pays est loin d'être utilisé à bon escient et exploité comme il se devrait. La fuite des cerveaux, de la matière grise, est de plus en plus forte. Les diplômés, docteurs, ingénieurs et autres chercheurs formés au Maroc, en partie ou totalement, servent le développement des pays développés. Le Maroc aura dépensé inutilement des capitaux pour former des gens qui serviront ailleurs, faute d'être acceptés et reconnus dans leur propre pays. Mais, aussi surprenant que cela puisse paraître, l'on invite  ceux qui sont à l'étranger à rentrer dans leur pays, alors que ceux qui y sont ne savent plus à quels saints ou diables se vouer.

Les potentialités économiques des régions sont-elles utilisées et exploitées comme il se doit ? Les différentes populations bénéficient-elles d'une redistribution équitable des richesses nationales ? Le système des soins est à plusieurs vitesses ; les systèmes de protection sociale sont aussi à plusieurs vitesses, voire absents. Le potentiel humain du pays est-il réellement et entièrement valorisé et exploité ? (voir la page 15 du rapport de synthèse). Qu'en est-il de la marginalisation des compétences, des mises au placard et autres voies de garages ?

Il faut se poser les vrais questions, mêmes et surtout quant elles fâchent, et y apporter des réponses sincères. C'est la seule façon d'évoluer positivement.

I.5. La sérénité et la complaisance 

Le RDH50 ne peut s'empêcher de légitimer le passé pourtant si critiqué également (voir la page 35 du rapport de synthèse) : « Avec le recul que confère la réflexion sur un demi siècle de développement humain, le pays peut regarder aujourd'hui son passé avec sérénité et envisager son avenir avec confiance ». 

Le rapport de synthèse fait mention d'un « peuple attaché à ses racines, à sa terre », (page 7 du rapport de synthèse), mais qui bien souvent a dû se déraciner pour survivre : exil, émigration... 

Le parachèvement de l'intégrité territoriale est-il complet, comme semble l'affirmer le rapport ? Qu'en est-il du Sahara, de Sebta, de Melilla ?... 

I.6. Des contrevérités historiques 

Au sujet des relations entre le protectorat et l'État marocain, des contrevérités historiques peuvent être relevées. Ainsi, contrairement aux affirmations du rapport de synthèse, le protectorat a permis l'émergence et la consolidation de l'État-Nation moderne marocain d'aujourd'hui ! Il serait plus exact de dire que le protectorat s'est transformé en une véritable colonisation du pays (page 7 du rapport de synthèse). 

Il ne peut être affirmé que tous les vestiges du passé ont fait l'objet d'une politique de préservation (voir le cas du Rif).

Qu'en est-il de l'appréciation idoine de ce que représente la réforme de la Moudouana, au regard de son impact réel sur la société, les mœurs, les usages ?

Qu'en est-il du désespoir, des suicides des immigrés, diplômés chômeurs ? Qu'en est-il, dès lors, de l'idée de « 50 ans de développement humain » ? 

Que vaut le pluralisme des partis politiques au Maroc ? Plutôt que de se féliciter du pluralisme des partis politiques, au Maroc, il faudrait s'en inquiéter.

I. 7. Une sérénité et un optimisme par ailleurs contredits

Des nœuds gordiens qui entravent le développement sont recensés par le RDH50. Mais quelles sont les solutions ? Qu'en est-il du plan d'action, de la vision pour sortir du sous-développement ? 

L'avenir est-il envisagé en confiance ? Qu'en disent les associations des droits humains ? La reconnaissance de l'exclusion de régions entières du développement est réitérée et ce sont précisément ces régions et populations marginalisées qui souffrent le plus de tous les maux.

I.8. Des euphémismes pour la mauvaise gouvernance : « Déficits de bonne gouvernance » 

Les rédacteurs du rapport ne peuvent s'empêcher d'utiliser des euphémismes. « En cours d'édification » : « solidité de l'État », « irréversibilité », « modernité », « crispations », « blocages par moments » ? ! C'est plus que du relativisme. Ou encore : « amélioration de la transparence des élections », « un mode de gouvernance qui se cherche encore ». La « décentralisation territoriale », a-t-elle aboutit ? Loin de là ! Le rapport fait mention des « nombreuses tentatives visant à définir une véritable régionalisation ». 

Différents « déficits » de bonne gouvernance sont relevés. Mais le RDH50 n'établit pas d'ordre d'importance parmi eux. L'obligation de rendre compte serait le premier, avec le corollaire de la responsabilité et des sanctions. Le rapport dialectique entre les différents nœuds est à relever : le savoir, l'économie, l'exclusion, le défaut de santé, la mauvaise gouvernance (défaut de participation, problèmes de planification, problèmes dans la décision, défaut de culture de l'évaluation, défaut d'accountability...).

I. 9. Les malversations

Il est souvent mis en avant le problème de la « corruption », au titre des malversations. C'est le cas du RDH50. Or, ce qui est le plus généralisé et aisé à démontrer et à prouver, ce n'est pas tant la corruption que la dilapidation des deniers publics.

En ce qui concerne la corruption (page 42 du rapport de synthèse), il est proposé une agence de lutte contre la corruption. Notons que la corruption est assez difficile à prouver. Tel que c'est présenté, cette agence aurait un rôle bien réduit : observer, étudier, proposer des solutions. Or, plutôt qu'une agence de lutte contre la corruption, il faudrait une agence de lutte contre la dilapidation des deniers publics, le détournement et la corruption.

I. 10. Un développement ou un sous-développement humain ?

À travers le rapport de l'IER et le RDH50 nous avons un témoignage, si ce n'est un aveu, du type de gouvernance du Maroc depuis l'indépendance. Les méthodes et objectifs suivis par l'IER et le groupe chargé du RDH50 sont différents. Mais, en dépit des nuances de forme que l'on a essayé d'introduire ici et là, la conclusion est finalement la même : on ne peut sérieusement affirmer qu'il y a eu durant ces cinquante dernières années une politique de développement humain dans notre pays. 

D'ailleurs, au delà du titre assez trompeur du RDH 50, la lecture tant du rapport général que du rapport de synthèse le montre bien.

II. LES LACUNES DU BILAN

II. 1. La lecture critique du travail de l'IER et du groupe du cinquantenaire 

Notons que le rapport remis par l'IER est indissociable de celui du RDH50 et que, tout travail n'étant pas parfait mais toujours perfectible, il ne faut pas s'étonner que des critiques fusent ici et là. Néanmoins, il convient à présent de ne pas s'en tenir à une simple critique. Toute critique doit être positive et constructive. Les critiques ne valent que si elles n'ont pas pour but la critique pour la critique. Peut-on valablement dire que les deux rapports ne valent rien? Bien loin de là! Néanmoins, l'accent peut être mis, en toute légitimité, sur les lacunes, incohérences, oublis et autres omissions volontaires ou involontaires.

II. 2. Les omissions et retranchements du rapport final de l'IER

Le rapport de l'IER comporte, plus que des oublis, des retranchements incompréhensibles qui ont pourtant été largement débattus. On ne peut que s'interroger sur le pourquoi de telles « omissions » volontaires. Sans s'arrêter sur le sort individuel de telle ou telle personne plus ou moins emblématique, victime des exactions et de la répression, une région, un pays tout entier, en l'occurrence le Rif, se retrouve réduit au silence. Du point de vue politique, c'est une erreur monumentale que de taire le Rif et de ne pas lui réserver la place qui aurait dû être la sienne dans le rapport de l'IER. Exclu du Maroc post-indépendant, le Rif a subi la marginalisation de tous les programmes de développement politique, économique, social...

Le diagnostic de ces décennies aurait dû en prendre compte. La marginalisation et l'exclusion auraient dû être mises en exergue de façon à en prendre conscience et à y remédier Or, au contraire, le Rif, une fois de plus, se retrouve exclu et marginalisé. Qui en porte la responsabilité ? Est-ce comme cela que l'on souhaite régler les problèmes hérités du passé ? Il est certain que « l'avenir se construit et que le meilleur est possible ». Mais encore faut-il savoir correctement ce que l'on a raté, au départ, afin de ne pas répéter les mêmes erreurs. Ainsi, aujourd'hui, du point de vue des droits de l'Homme et de la gestion sécuritaire du pays, est-on sûr de ne pas sombrer dans les mêmes erreurs que par le passé ? 

II. 3. Les malversations ne se réduisent pas à la corruption

Certes, les dysfonctionnements, malversations, dilapidations, détournements et autres pratiques illégales existent dans tous les pays de par le monde. Cependant, contrairement à ce qui passe au Maroc, l'indépendance de la justice dans les pays développés permet, en cas de crimes soupçonnés ou révélés, de faire respecter le droit et la justice et de prendre les sanctions idoines au crime commis.

II. 4. Les lacunes, dans le rapport du cinquantenaire, en ce qui concerne les droits de l'Homme

Il reste surprenant que, parmi les nœuds gordiens, le RDH50 ne fasse pas de place aux droits de l'Homme (page 25 du rapport de synthèse). Dans un rapport qui se veut de « développement humain », il est pour le moins étonnant que le volet des droits humains n'y figure pratiquement pas, si ce n'est en filigrane, caché et au travers de divers thèmes.

Que ce soit en matière de droits civils et politiques ou en matière de droits économiques, sociaux et culturels, tels que définis par les deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme, quel est le bilan de ces 50 dernières années au Maroc ? Pourquoi s'embarrasser dans les rapports  de qualifications fallacieuses, en parfait désaccord avec la réalité ? Ne peut-on appeler les choses par leur nom, voire à défaut éviter de les qualifier ? D'autant plus que cela risque de conduire le débat sur de fausses pistes de sémantiques. Il y a eu des défaillances sérieuses, c'est ce que les deux rapports reconnaissent en dépit de tout.

Probablement que toutes les défaillances n'ont pas été relevées. C'est là où le débat peut être intéressant, afin de compléter ce qui a été oublié. De même que l'intérêt de ce débat tient à ce qu'il faudrait faire et comment le faire afin de réparer, de rattraper les retards, afin d'éviter que les défaillances se poursuivent, ou pire se développent. 

Il a souvent été glosé sur l'État de droit et l'état du droit d'une façon générale. Le problème est que, souvent, le droit a été réduit à son rôle idéologique et non perçu en termes de valeurs, principes fondamentaux et règles impératives de conduites auxquelles il ne devrait pas être dérogé. La place qui revient au droit dans notre pays est aujourd'hui bien accessoire. Le droit est considéré comme l'accessoire, souvent une contrainte qu'il faut ignorer voire violer à défaut de contourner. Le règne de la loi est bien loin. Notons que de surcroît ce même droit est à mains égards dépassé. Mais, ce n'est pas bien sûr pour cette raison qu'il n'est pas respecté.

CONSIDÉRATION FINALES ET PERSPECTIVES D'AVENIR

1. Des dangers qui guettent l'avenir du pays

L'absence de forces politiques sérieuses et crédibles est assez dangereuse et préjudiciable pour l'avenir du pays. Le clanisme, le clientélisme, le laisser-faire, le complot du silence peuvent avoir des revers et retours de manivelle désastreux. Les manipulations peuvent avoir des effets pervers.

Le règne du droit, l'État de droit, ne sauraient être de simples mots. L'autocensure, les rapports de complaisance, les complots du silence, les jugements de valeur, l'hypocrisie, la lâcheté et la bêtise dans la gestion de la chose publique et dans les prises de décisions sont des comportements qui minent l'avenir. Cet avenir que l'on veut meilleur et que l'on sait possible. 

2. Les pistes de réflexion du RDH50 pour les deux décennies à venir ?

Il faut aussi, à un moment, dépasser les pistes de réflexion. Le rapport parle de « pistes de réflexion pour les deux décennies à venir » (page 3 du rapport de synthèse). Cela voudrait-il dire que durant les deux décennies à venir on en sera encore à réfléchir sur les pistes à suivre ? Il ne saurait en être ainsi. Un projet de société, avec ses sous-projets, se construit in concreto sur la base de plans d'actions et de programmes d'exécution selon des calendriers précis, des moyens, des objectifs qualitatifs, quantifiables et mesurables, clairs, précis et affichés à la portée de tout un chacun, afin que toute personne puisse en faire le suivi. Étant précisé que des redressements sont toujours possibles et que rien n'est figé, ni définitif.

À la page 4 du rapport, un axe important aurait dû figurer parmi les thématiques abordées, à savoir la réforme du droit et des institutions [Voir Mimoun Charqi. « Aspects juridiques et pratiques d'une réforme du droit et des institutions, au Maroc », in : juridiconline.com].

3. Un scénario en attente de plans et programmes

Pour aller vers 2025, les paris d'un scénario dit souhaitable sont mentionnés de la page 35 à la page 40 du rapport de synthèse du cinquantenaire. Bien sûr, il n'est pas dit comment on pense pouvoir concrétiser ces paris. L'invitation au débat intervient en guise d'épilogue (pages 41 à 45 du rapport de synthèse.) Notons que l'invitation au débat aurait pu se faire avant la production du RDH50, de façon à ce que toute personne ou groupes intéressés puissent y participer.

Ainsi, des pistes sont proposées au débat. Or, il ne s'agit pas seulement de penser et de débattre de pistes à même de nourrir la réflexion des décideurs et acteurs politiques, mais, bien plus, de mettre en place les conditions et programmes afin d'atteindre les objectifs escomptés pour 2025. Il ne faudrait surtout pas que tout cela reste des considérations théoriques. Le danger est réel. Les risques sont grands et les changements doivent se faire. 

Il est fait mention, à la page 16 du rapport de synthèse, du projet de rénovation de l'éducation et de la formation et de la charte nationale. Mais pour quel résultat ? Il ne faudrait surtout pas que le projet de l'Agenda 2025 connaisse le sort de la charte nationale pour l'éducation et la formation. 

Il est proposé le principe du vote obligatoire afin de renforcer le sentiment d'appartenance nationale. Est ce là le problème ? Les gens iront voter lorsque la chose publique sera crédible. Il est proposé de limiter le cumul des mandats. Ne faudrait-il pas plutôt interdire le cumul de mandats ? Il est proposé un débat sur la réforme constitutionnelle ; alors qu'elle n'a que trop tardée.

Pour la bonne gouvernance il est proposé un organe « indépendant » d'évaluation des politiques publiques (voir la page 42 du rapport de synthèse).

Notons que, souvent, dans notre pays une priorité en chasse une autre. Les priorités deviennent, avec le temps, de véritables slogans creux. On se rappelle de l'État de droit, de la régionalisation, de la transparence, de la lutte contre la corruption, de la priorité du Rif, etc.

Dès lors que l'accent est mis sur les maux qui entravent le développement humain du pays, il faut mettre en place un plan, des programmes, des politiques et des moyens pour lutter contre ces maux.

L'un des intérêts du RDH50 est de présenter un scénario du Maroc de 2025 si rien ne se fait (page 32 du rapport de synthèse). Des objectifs sont proposés pour 2025 (pages 33 et suivantes du rapport de synthèse). Mais la question est de savoir comment faire pour tout cela ? Pour que ces objectifs soient atteints ? L'agenda 2025 devrait être autrement pensé et proposé. Le calendrier devrait être plus précis, dans sa progression, ses acteurs, ses moyens, ses objectifs... Il devrait être affiché sur le web et les évolutions et mises à jour mentionnées. Les objectifs du RDH50 sont nobles et ambitieux. Peut-être faudrait-il envisager qu'il y ait des sous-chantiers.

In fine, le développement humain en tant que choix de gouvernance et objectif à atteindre reste à penser et à mettre en œuvre.

Copyright : © 2006. Mimoun CHARQI. Tous droits réservés.

Mode officiel de citation : Mimoun CHARQI, « Bilan et perspectives du Maroc, après 50 années d'indépendance politique», 

http://CHARQI.blog4ever.com



[1] Ce texte est issu d'une communication faite au forum sur « Le développement humain : un choix de gouvernance », organisé par le Conseil consultatif économique, social et culturel, à El Jadida (Maroc), le 11 mars 2006.


11/05/2010
1 Poster un commentaire

L'AUTONOMIE STADE SUPREME DE LA LIBRE AUTODETERMINATION ET DES DROITS DES PEUPLES

L'AUTONOMIE, STADE SUPRÊME DE LA LIBRE AUTODÉTERMINATION &

 DES DROITS DES PEUPLES


Pour connaître valablement de l'affaire du Sahara, il sied de se pencher sur la signification des concepts et principes de bases du droit international en relation avec la question du Sahara. L'histoire des peuples est jalonnée de difficultés, de guerres, d'oppressions, de colonisations, de luttes de libérations, etc. Nombre de pays se sont retrouvés colonisés, au demeurant avec la bénédiction du droit international, avant d'utiliser ce même droit international pour revendiquer leurs indépendances, un droit à la décolonisation sur la base du principe des droits des peuples. Toujours est-il que les « décolonisations » et « indépendances » n'ont pas toujours été, loin s'en faut, la consécration effective des droits des peuples. Le Maroc fait partie de ces pays ayant subi des invasions, colonisations et autres « protectorats » ; des agressions qui ont conduit à la partition de son territoire entre les puissances européennes.

Le recouvrement progressif de l'intégrité territoriale du Maroc se trouve en bute, dans le cas du Sahara anciennement colonisé par l'Espagne, avec une contestation orchestrée par le voisin algérien, à travers un front sécessionniste : le Polisario. Les arguments développés et soutenus par la diplomatie algérienne semblent, à priori, trouver leurs fondements sur des principes de droit international. Mais qu'en est-il réellement ? L'analyse permet de se rendre compte que la légitimité légaliste, issue du droit international, est plutôt du côté marocain. Mais avant de voir ce qu'il en est des principes issus du droit international public, en matière de droits des peuples, et d'en tirer les conclusions, après analyse, il convient de rappeler quelques éléments d'histoire.

I. LE SAHARA ET L'EMPIRE CHÉRIFIEN MAROCAIN

L'histoire est là pour témoigner de ce que fut le Maroc d'antan. Mais si l'histoire est riche d'enseignements encore faut-il la lire et savoir en faire l'analyse et en extraire les enseignements appropriés. L'Acte d'Algésiras consacre la répartition de l'empire chérifien marocain entre les puissances Européennes et les marocains n'auront cesse de lutter par le recouvrement de l'intégrité territoriale du pays.

1. Partition du Maroc et processus de recouvrement de son intégrité territoriale

Le siècle passé fut celui des colonisations et décolonisations. Bien des pays et structures étatiques se sont retrouvés ébranlés et détruits par les invasions et pénétrations coloniales. Dans le cas du Maroc, les puissances occidentales ont trouvé une structure étatique toute particulière. L'Etat chérifien Marocain, qui allait depuis Tanger jusqu'aux confins Sud de l'actuelle Mauritanie était d'un type étatique différent de l'Etat Nation moderne d'aujourd'hui. L'Etat Chérifien marocain se rapproche d'un type d'Etat fédéral regroupant des tribus et confédérations de tribus diverses, véritables républiques, qui géraient librement leurs affaires. Le Sultan était reconnu comme autorité religieuse et spirituelle. Son autorité n'est pas administrative. Dans une certaine mesure, elle est politique. Le Bled EL Makhzen représente la portion infirme du territoire où le Sultan dispose d'une armée propre et où il exerce un pouvoir et une autorité pleine, entière et effective. Le reste du territoire s'apparente au Bled Es Siba. L'allégeance des tribus au Sultan s'exprime par la Beia des grands Caïds, la nomination de responsables Caïds, Pachas, Juges ou Gouverneurs, par Dahirs du Sultan, la perception d'impôts par le pouvoir central sous forme d'argent ou d'hommes de troupes envoyés pour l'armée du Sultan. Le lien d'allégeance entre les populations du Sahara occidental marocain et les Sultans du Maroc est reconnu par l'avis de la Cour international de justice.

Il convient de noter que, depuis le Caire, le précurseur de la lutte pour la libération des peuples, Mohamed Abdelkrim El Khattabi, au moment des pourparlers d'Aix Les Bains pour « l'indépendance du Maroc », s'est prononcé contre une indépendance partielle du pays, en ce sens qu'elle n'englobait pas tout le territoire Marocain, du Nord méditerranéen jusqu'au Sud du Sahara.

2. Les sahraouis au secours de la souveraineté marocaine
Si le début du 20ème siècle signe la partition du Maroc, toujours est-il que déjà l'Espagne s'était installée bien auparavant à Melilla, à Sebta, sur les Ilots avoisinants et plus tard au Rio de Oro, en 1884. Il est intéressant de savoir comment se sont opérés l'établissement des « protectorats » et la partition de l'empire chérifien marocain. Comment les invasions, et « pacifications », française et espagnole, ont pu se faire ? Comment la résistance, le « Jihad », des tribus et de leurs Chefs a pu se faire ? Ce que furent les soutiens du Nord jusqu'aux Sud de l'empire chérifien marocain à la lutte contre les invasions européennes. Ce que fut, dans le cas précis des provinces du Sud du Maroc, dans le Sahara, le rôle et les luttes de Ma Al Aïnine venu depuis les confins du Sahara faire allégeance au Sultan du Jihad, Moulay Abdelhafid, et ses combats ainsi que ceux de son frère M'rebi Rabou, dans plusieurs contrées du Maroc, loin du Sahara, en défense du Sultan et de la souveraineté nationale contre l'envahisseur européen.

II. LES DROITS DES PEUPLES

Qu'est ce que les droits des peuples et qu'est ce qu'ils ne sont pas ? De principe politique, à ses origines, le droit des peuples est passé à devenir une règle juridique qui, au demeurant, fait l'objet de bien des manipulations, alors même que la signification juridique, stricto sensu, ne prête à aucune confusion.

1. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : évolution, interprétation et signification
Le droit international public contemporain s'est fait sur la base du consentement des Etats et l'objectif de recherche de la paix et de la sécurité internationale. Les règles morales, politiques et autres sont venues, au fur et à mesure, conforter le développement et l'évolution du droit international public. Sur la base du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, les pays colonisés ont pu accéder à l'indépendance. La résolution 1514 (XV) de l'Assemblée Générale des Nations Unies est venue consacrer le droit à la décolonisation. Mais déjà en 1945, la charte de l'Organisation des Nations Unies, à son article 1er, précise ce qu'il en est de l'un des buts des Nations Unies : « développer, entre les Nations, les relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ». Il faut dire que le droit international public, aussi désigné par le droit des gens, ne s'appliquait, à ses débuts, qu'entre nations dites « civilisées ». Les pays colonisés vont reprendre et revendiquer les règles et principes du droit international public pour leurs décolonisations. Notons que souvent, il y a une « confusion » parfois par erreur, parfois à dessein, entre le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et la souveraineté ou l'indépendance politique des Etats .

Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes peut être présenté de deux façons :
- soit comme un principe ou règle démocratique à travers lequel les populations concernées s'expriment ;
- soit comme un principe révolutionnaire selon lequel les populations ou peuples concernés expriment la détermination de leur statut politique.

Ainsi, le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes donne lieu et laisse la place à des interprétations souvent erronées, où le politique l'emporte sur la règle juridique proprement dite. Mais, tout comme, sur le plan interne, la politique n'est pas le droit, la politique internationale ou étrangère ne sont pas et ne se confondent pas, au niveau international, avec le droit international.

2. Les populations concernés par les droits de peuples
Les peuples concernés, par la règle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et la règle du droit des peuples à la libre détermination , sont ceux soumis, selon les termes de la résolution 2625 (XXV), de l'Assemblée Générale des Nations Unies, à une subjugation, à une domination ou à une exploitation étrangère. C'est le cas, lorsqu'il y a exercice au sein d'un Etat d'un « régime juridique discriminatoire » à l'égard d'une partie de la population ; traditionnellement, les peuples et territoires concernés sont ceux sous tutelle ou non autonomes. Le droit international contemporain a strictement limité l'application des droits des peuples à l'indépendance aux peuples colonisés.

3. Nations et peuples
Les concepts de « nation » et « peuple » sont à la fois imprécis et controversés. Ils peuvent, tantôt se confondre, tantôt se distinguer. Dans une nation peuvent figurer plusieurs peuples, de même qu'un même peuple peut se retrouver sur plusieurs nations. La définition des notions de « nation » et « peuple » sont particulièrement difficiles. Ainsi, il a été avancé que la notion de « peuple » s'apparente à des « groupements ethniques habitant un territoire nettement limité » .

4. Les indépendances au détriment des droits des peuples
Souvent, le droit des peuples à la libre et authentique autodétermination a été tronqué et mis de côté dès lors que le territoire et les populations concernées accédaient à une « indépendance », souvent factice, bien souvent antinomique même aux droits des peuples et à leurs volontés confisquées. Les relations internationales, l'histoire des institutions internationales ne sont que ce que les Etats en font. Le droit international public n'est que ce que les Etats veulent qu'il soit. Bien souvent, les interprétations, les lectures, les applications qui se font de la règle de droit sont commandées par les intérêts politiques, économiques, financiers, stratégiques et autres.

5. La règle des décolonisations sans référendum
Le droit des peuples a souvent été exercé sous la forme d'un compromis ou accord entre le mouvement de libération nationale et l'Etat anciennement colonisateur. Il convient de noter que la théorie du référendum n'a jamais été la règle, dans l'histoire des relations internationales et la pratique du droit international général. Dernièrement, Hong Kong et Macao ont fait l'objet d'une restitution à la Chine sans que les populations locales soient consultées , et sans que personne ne s'en offusque.

6. L'illégalité des sécessions : l'absence d'un droit à la sécession
Nombre d'Etats font des règles juridiques internationales des usages politiques et idéologiques qui ne s'accordent aucunement avec la réalité du droit international public. Ainsi, une mauvaise interprétation du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes peut être lourde de conséquence, dans la mesure où elle remettrait en cause l'unité nationale et l'intégrité territoriale des Etats. D'ailleurs, ce n'est pas sans raison si la Résolution 2625 (XXV), de l'Assemblée Générale des Nations Unies, précise, pour clarifier la signification du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, que : « Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou encourageant une action quelle qu'elle soit qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout Etat souverain et indépendant se conduisant conformément au principe de l'égalité de droit et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes énoncé ci-dessus et doté ainsi d'un gouvernement représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race de croyance ou de couleur ».

7. Autodétermination et souveraineté nationale
La doctrine soviétique du droit international public, représentée par Grigory I. TUNKIN , rappelle ce qu'il en est de la signification, de l'évolution et de l'importance du principe d'autodétermination des peuples. A l'origine, lors des périodes des « révolutions bourgeoises », ce principe s'apparente au « principe des nationalités ». L'union soviétique a contribué à la consécration du « principe d'autodétermination des nations » par le droit international public. Lorsque la Charte de l'Organisation des Nations Unies, à ses articles 1 et 55, fait mention de l'autodétermination, c'est dans le respect de la souveraineté nationale .

8. Les droits des peuples : d'une règle d'exception à générale
Dès la fin de la 1ère guerre mondiale, le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes apparaît dans le droit international comme règle d'exception. Avec la fin de la 2ème guerre mondiale et la signature de la Charte de l'Organisation des Nations Unies, le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est traduit en règle générale qui, depuis, ne va pas cesser d'être consacrée pas des instruments Internationaux divers. Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, est même consacré comme le premier des droits de l'homme.

A la fois dans les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme, en l'occurrence : le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que le pacte international relatif aux droits civils et politiques, le principe du droits des peuples à disposer d'eux-mêmes figure en bonne place, puisque les articles 1er de ces deux instruments internationaux en font mention.

9. Le droit au plébiscite ?
Pour l'Organisation des Nations Unies, la notion de « peuple » concerne « les populations de tous pays, de tous les territoires dépendants, non autonomes ou sous tutelle » . Mais qu'en est-il du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, et du « droit au plébiscite » au regard de la jurisprudence internationale ? Une affaire célèbre dans les annales de la Société des Nations est celle des îles d'Aland. Ces dernières qui étaient sous souveraineté Suédoise avaient été conquises par Alexandre 1er en même temps que la Finlande. Après la fin de la première guerre mondiale lorsque la Finlande retrouva son indépendance, les îles d'Aland souhaitèrent s'unir, en vertu du « principe des nationalités » avec la Suède, en réclamant un plébiscite. La Finlande refusa et l'affaire fut portée devant le Conseil de la Société des Nations qui se prononça en faveur de la Finlande, le 24 juin 1921. La thèse défendue par la Société des Nations est qu'il « appartient exclusivement à la souveraineté de tout Etat définitivement constitué d'accorder ou de refuser à une fraction de sa population le droit de déterminer de son propre sort politique par la voie d'un plébiscite ou un autre moyen» .

10. L'exception des plébiscites de décolonisation
Dans l'histoire des relations internationales, les seuls cas de plébiscites, résultant du droit international conventionnel se référant à la décolonisation de territoires sous tutelles, concernent le Togo, le Cameroun, le Samoa occidental, et le Ruanda-Urundi . Quand on sait ce qu'est le nombre d'Etats ayant accédé à l'indépendance, le pourcentage des Etats dans lesquels il a été fait recours au plébiscite est dès lors exceptionnel et infime. Dès lors, il n'y a pas, en droit international public, une règle ou un principe consacré d'un droit au plébiscite de décolonisation.

11. La Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux peuples colonisés
L'Assemblée Générale des Nations Unies, par sa résolution N° 1514 (XV), du 14 décembre 1960, a adopté à l'unanimité des Etats avec neuf abstentions la déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux peuples coloniaux. Or, il convient de noter que cette Déclaration, qui confirme une fois de plus le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, précise à son paragraphe e) que : « Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ». Ainsi, toutes actions et manœuvres visent à aboutir à la sécession, d'une partie d'un territoire de l'ensemble du territoire national est nulle et non avenue car tout simplement illégale.

12. Le droit des peuples et le jus cogens
De principe politique directeur, le principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes est devenu, au fil du temps, un principe juridique, une règle proprement dite et, ce qui plus est, de jus cogens . Le droit international comporte des règles dites de « jus cogens », des règles impératives auxquelles il ne peut être dérogé. C'est le cas du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Encore que d'aucuns lui contestent ce caractère. Les autres règles de jus cogens étant : L'interdiction du recours à la guerre et à la force, l'égalité souveraine des Etats, la non immixtion dans les affaires internes, l'adage Pacta Sunt Servanda, selon lequel les pactes doivent être respectés, la liberté de la haute mer, etc.

III. JURISPRUDENCE ET DROIT INTERNATIONAL
Si la jurisprudence internationale permet, dans le cas de l'avis juridique de la Cour internationale de Justice de dégager une opinion, au sujet de la légitimité marocaine sur le Sahara, le droit international, quant à lui, à l'occasion d'affaires célèbres dans les annales de l'histoire des relations et institutions internationales consacre des principes et règles de conduite qui servent et appuient la position marocaine dans le dossier du Sahara.

1. La C.I.J, le Sahara et les droits des peuples
Lors de la consultation de la Cour internationale de justice, en 1975, au sujet du Sahara, cette dernière après avoir reconnu qu'il y avait des liens d'allégeance entre les populations et tribus du Sahara avec les Sultans marocains et que le Sahara n'était pas « terra nullius », terre sans maître, s'est prononcée en faveur de la consultation des populations concernées, sous forme de référendum, afin qu'elles expriment leurs opinions.

Or, deux grandes remarques peuvent être faites à ce sujet : Primo, les avis consultatifs de la Cour internationale de justice contrairement aux arrêts ne revêtent pas un caractère obligatoire. Secundo, la règle générale, issue du droit international, en matière de décolonisations, veut que les peuples concernés ne sont pas associés, par référendum, à se prononcer sur leur devenir.

Il faut noter cependant que, depuis, l'Assemblée Générale des Nations Unies a réaffirmé, dans plusieurs Résolutions, « le droit du peuple sahraoui à l'autodétermination par l'expression libre et authentique de sa volonté ». Notons que, le Maroc ne dit pas autre chose si ce n'est qu'il veille à éviter les manipulations et récupérations qui vont à l'encontre même de la libre autodétermination. Ce principe, d'ailleurs, ne concerne pas seulement le Sahara mais tous les peuples et populations et provient d'un souci de libre exercice de gestion démocratique des sociétés.

2. La remise en cause du référendum sur Gibraltar
Un cas assez atypique convient d'être mentionné dans l'histoire des relations internationales et du droit international : celui de Gibraltar. Avec le traité d'Utrecht, signé en 1713, l'Espagne concédait à la grande Bretagne, la possession de Gibraltar, sous conditions. Devenue colonie de la grande Bretagne, en 1830, le statut de Gibraltar va évoluer progressivement avec une population provenant de l'extérieur. Depuis, Gibraltar fait l'objet d'un litige entre l'Espagne qui souhaite son recouvrement et la Grande Bretagne qui s'attache à sa « souveraineté » sur le rocher. C'est ainsi qu'en 1967, la Grande Bretagne a annoncé un référendum sur Gibraltar. Rapidement, le projet de référendum fut condamné par le « Comité des 24 », ou Comité de la décolonisation, qui le considère comme contraire aux différentes Résolutions de l'Assemblée Générale des Nations Unies.

Néanmoins, ce référendum a lieu le 12 septembre 1967, et il en ressort que 99 % des concernés sont pour le maintien de la relation avec la Grande Bretagne et s'opposent à un retour de Gibraltar à l'Espagne.

3. La contestation du référendum et de l'indépendance de Chypre
Dans les relations internationales, un autre cas mérite d'être rappelé. Celui de Chypre. La colonisation de Chypre intervient comme suite à un Traité entre l'Empire Ottoman et la Grande Bretagne, le 4 juin 1878. Avec la 1ère guerre mondiale, Chypre est annexée par la Grande Bretagne, puis, ensuite, devient une colonie Britannique en 1925. Chypre n'a eu cesse, depuis la fin de la 1ère guerre mondiale, de réclamer l'application du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Un référendum est même organisé, par Monseigneur Makarios, le 15 janvier 1950, avec comme résultat 95,7 % des voix en faveur d'une union de l'île avec la Grèce. Mais la Grande Bretagne se refuse toujours d'y donner suite, ce qui conduit la Grèce, à saisir l'Organisation des Nations Unies, le 16 août 1954, en réclamant le droit à la libre détermination.

Alors que la Grèce fonde son recours à l'Organisation des Nations Unies sur l'article 1er paragraphe 2 de la charte des Nations Unies, la Grande Bretagne, quant à elle, se base pour ses objections sur l'article 2, paragraphe 7, de la même Charte des Nations Unis, sur le principe du « domaine réservé des Etats », sur » la stabilité des frontières », etc. Depuis 1955, la Turquie s'est invitée au conflit, ce qui complique la solution. L'indépendance de Chypre, avec les traités de Zürich et de Londres, en 1959, divise la république Chypriote entre grec et turcs avec une force de casques bleus d'interposition. Depuis, la proclamation d'un Etat fédéré turc, en 1975, avec la république turque de Chypre Nord, en 1983, a été déclarée par le Conseil de Sécurité comme « légalement nulle et non avenue » en invitant les différents Etats à ne pas reconnaître ce qui est considéré comme un « Etat fantoche ».

4. La condamnation de la sécession et de l'indépendance du Biafra
Un 3ème cas, assez particulier aussi, mérite d'être rappelé : celui du Biafra. La région orientale de la fédération du Nigeria proclama, le 30 mai 1967, la sécession et l'indépendance sous le nom de Biafra. Néanmoins, le 12 janvier 1970, les troupes fédérales du Nigeria obligèrent le Biafra à la capitulation. L'Organisation de l'Unité Africaine, dès le début, s'est déclarée contre la sécession du Biafra, afin d'éviter un précédent préjudiciable à l'unité des Etats Africains nouvellement indépendants. L'Organisation de l'Unité Africaine affirmant que le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes n'était plus applicable en ce qui concerne les populations d'un Etat constitué. L'Organisation des Nations Unies, quant à elle, s'est abstenue de toute intervention dans le conflit du Biafra, excepté l'envoi de vivres et de médicaments aux populations sinistrées. Le Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies de l'époque, M. U. THANT devait affirmer que : « l'Organisation des Nations Unies n'a jamais accepté, n'accepte et n'acceptera jamais, je pense, le principe de la sécession d'une partie d'un Etat » .


IV. CONSIDÉRATION FINALES
A la lumière de ce qui précède, au titre des considérations finales, divers points de conclusions peuvent être retenus.

1. Le dossier du Sahara occidental relève des affaires intérieures marocaines
Le Sahara occidental marocain ou du moins ses populations sont un cas de minorités autochtones, du Maroc. Ces populations autochtones ne sont pas étrangères au Maroc. Le domaine réservé des Etats se base sur leur souveraineté. C'est pourquoi l'article 2, paragraphe 7, de la Charte de l'Organisation des Nations Unies prévoit que : « Aucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat, qui n'oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente charte (…) ». En conséquence, rien n'obligeait le Maroc à soumettre le dossier du Sahara à la « Communauté internationale » et de procéder à des visites d'explication de la position marocaine, de sa légitimité et des solutions envisagées, prenant ainsi à témoin la communauté internationale.

2. Le devoir de non ingérence et de respect de l'intégrité territoriale des Etats
Conformément au principe de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres des Nations Unies, consacré par la Charte de l'Organisation des Nations Unies, le paragraphe f) de la résolution 1514 (XV) de l'Assemblée Générale précise que « Tous les Etats doivent observer fidèlement et strictement les dispositions de la Charte des Nations Unies, de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de la présente Déclaration sur la base de l'égalité, de la non ingérence dans les affaires intérieurs des Etats et du respect des droits souverains et de l'intégrité territoriale de tous les peuples ».

L'Assemblée générale des Nations Unies a fini par assimiler les « territoires non autonomes » aux « pays sous tutelle ». Par ailleurs, il est affirmé, à juste titre, qu'en droit international public, « le principe du respect de l'indépendance déjà acquise conduisent à la souveraineté totale (…) » . Il n'est pas admis d'indépendance sur et après indépendance. Dans le cas du Sahara, l'indépendance réclamée par le Polisario, et soutenue par l'Algérie, relève la sécession et non de la décolonisation. Au Sahara, la décolonisation, l'indépendance et le recouvrement de l'intégrité territoriale marocaines se sont fait après les accords de Madrid.

« La non-intervention dans les affaires internes des Etats est un principe fondamental du droit international qui se fonde sur la souveraineté de l'Etat, son droit à l'indépendance politique et à l'intégrité territoriale, et par conséquent sur le droit de chaque peuple d'avoir le régime de sa préférence et les gouvernants de son choix» . L'Algérie ne semble pas faire grand cas de cette règle internationale et, ce faisant, viole le droit international.

3. La primauté et la préférence de l'autonomie sur l'indépendance
Les indépendances, d'une façon générale, ont étés bien loin de consacrer le principe du droit des peuples à l'autonomie et à disposer d'eux-mêmes. L'Assemblée générale des Nations Unies a eu l'occasion de recommander par sa Résolution N° 1064/XI, du 26 février 1957, au sujet du Tanganyika, du Cameroun, du Ruanda-Urundi et du Togolande, dans l'ordre, « l'autonomie » ou « l'indépendance », (…). Il faut noter, ici, que ce qui est privilégié c'est l'autonomie sur l'indépendance. Pour la simple raison que l'autonomie est un système de gouvernance qui se situe au dessus des indépendances acquises après décolonisations.

Dans les quatre affaires précitées, l'Assemblée Générale des Nations Unies a recommandé l'autonomie avant l'indépendance. Cela signifie que, sur la base des standards internationaux en matière de droits de l'homme, de liberté et de démocratie, l'autonomie est un stade bien plus avancé que le statut de simple indépendance.

4. L'absence de droit à la sécession en droit international
La Déclaration, Résolution 2625 (XXV), du 24 octobre 1970, adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies, sans opposition, et relative « aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la charte des Nations Unies », fait mention, également, du principe du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

Trois hypothèses sont mentionnées par la Résolution 2625 (XXV), de l'Assemblée Générale des Nations Unies : primo, la création d'un Etat souverain, secundo, la libre association et, tertio, l'intégration avec un Etat indépendant. Mais, tout ceci ne s'accorde pas avec le problème du Sahara occidental marocain. Le droit international n'a jamais fait mention et ne reconnaît pas un droit à la sécession, un droit à la dislocation de l'intégrité territoriale des Etats. Bien au contraire. Le Polisario n'est rien d'autre qu'un groupe politique armé sécessionniste. Or, la sécession se situe aux antipodes de la décolonisation. « En vain chercherait-on dans le droit positif un texte ou une pratique permettant de déduire un droit des peuples de faire sécession de
leur droit à disposer d'eux-mêmes » . Notons que Georges Scelle, écrit que : « Le droit des peuples comporte aussi le droit pour une collectivité étatique de maintenir sa cohésion vitale et sa solidarité particulière » .

5. Le droit à l'autonomie
Les droits de l'homme sont indissociables du droit des peuples à l'autodétermination, encore que l'exercice du droit des peuples à l'autodétermination n'assure pas, forcément et ipso facto, l'effectivité des droits de l'homme. Par contre, le choix de l'autonomie, comme système politique et juridique de gestion, est indéniablement la meilleure garantie d'un réel exercice, d'une effectivité de l'autodétermination, des droits de l'homme, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes,...

Le droit à l'autonomie, contrairement au droit à l'indépendance, est une véritable assurance pour les droits de l'homme, pour le développement, pour les libertés,…

6. L'autonomie comme libre et authentique autodétermination
Dans le cas des peuples colonisés ou sous tutelle, le principe du droit des peuples à la libre détermination s'entend traditionnellement comme : 
               - l'indépendance complète ;
               - l'incorporation à un autre Etat ;
               - l'adhésion à une forme de Fédération étatique.

Mais, il faut préciser que ces trois formes de libre autodétermination, y compris l'indépendance politique, ne traduisent pas, dans les faits, le libre exercice du droit des peuples à l'autodétermination. C'est pourquoi, à ces 3 formes classiques d'expression, traditionnellement connues et défendues, il faut en rajouter une 4ème, à savoir la plus importante : l'autonomie. Ainsi, l'autonomie peut être considérée comme le stade suprême de la libre et authentique autodétermination des peuples, de leurs droits à disposer d'eux-mêmes et du droit à la décolonisation.

7. Le dépassement et la démystification de la fiction de l'indépendance
L'indépendance des pays colonisés est une étape vers la décolonisation pleine et entière à travers l'autonomie des populations concernées dans le self gouvernement. Carlogeropoulos STRATIS écrit : « La notion d'indépendance ne peut se cantonner uniquement au droit de l'accession à l'indépendance, car celle-ci est devenue une notion fictive. Ainsi, la fiction de la souveraineté formelle est appelée à se traduire par une souveraineté réelle et de fond » . Or, cette « souveraineté réelle et de fond », ne peut se faire que par et dans l'autonomie des populations concernées. Dans le même sens, NGuyen Quoc DINH écrit : « Pour les peuples constitués en Etat ou intégrés dans un Etat démocratique qui reconnaît leur existence et leur permet de participer pleinement à l'expression de la volonté politique et au gouvernement, il se traduit par le droit à « l'autodétermination interne », c'est-à-dire par un droit à la démocratie encore mal assuré et dans les Etats multinationaux, ou coexistent plusieurs peuples, par la reconnaissance qui affirme des droits des minorités, y compris les peuples autochtones. Mais, il n'en résulte en principe aucun droit à « l'autodétermination externe », lorsque celle-ci conduit à une sécession incompatible avec un autre principe fondamental du droit international contemporain, le droit des Etats à leurs intégrités territoriales » .

Ainsi, c'est l'absence, voir le refus de concessions sur les droits de l'homme, la démocratie et l'accès à l'autodétermination en interne qui légitime le droit à l'autodétermination externe. Seul un régime politique discriminatoire justifie le recours à une autodétermination externe. Dans le cas du Sahara Occidental marocain, le territoire ainsi que ses populations ont, à contrario, bénéficié d'un statut privilégié par rapport aux autres régions du Maroc. L'indépendance étatique n'est pas en soi la réalisation effective, ni même l'objectif nécessaire des droits des peuples. La question centrale reste la libre démocratie, la libre expression démocratique égalitaire, sociale, économique, politique,…

8. Le droit de l'Etat à l'unité et à l'intégrité territoriale
Le droit international public ne reconnaît pas un droit à la sécession, car cela va à l'encontre du droit de l'Etat à l'unité, à l'intégrité territoriale et à la conservation de la souveraineté Nationale. « Depuis la résolution N° 1514, de 1960, sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, l'unique solution de décolonisation retenue est celle de l'indépendance totale et en dehors de la manifestation de la volonté expresse des populations intéressées » .

9. La dénaturation des droits des peuples
L'histoire des décolonisations et « indépendances », dans la plupart des cas, a conduit à une véritable « dénaturation du droit des peuples ». Car, comme le dit si bien Carlogeropoulos STRATIS : « Limiter le droit à la libre détermination uniquement à la libération coloniale, présumer la volonté des intéressés et déclarer qu'une fois l'indépendance acquise, rien ne peut être mis en cause, concernant le statut qui en résulte, est contraire à la conception du principe même du droit des peuples et à l'idée démocratique où prime la volonté des intéressés » .

10. La conciliation entre le droit de l'Etat et les droits des peuples
La résolution de l'équation tient à concilier entre le droit de l'Etat à la souveraineté et à l'intégrité territoriale et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et à la libre autodétermination. Dès lors, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes trouve son expression entière dans le concept « d'autonomie ». L'autonomie est un statut juridique qui permet à une population donnée, au sein d'un territoire, [faisant partie d'un Etat conservant sa souveraineté et son intégrité territoriale], d'exercer des pouvoirs et prérogatives plus ou moins larges de gouvernement et de gestion démocratiques. C'est cela vers quoi le Maroc s'engage, résolument, dans le respect du droit international des droits de l'homme. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner, sans parti pris, en toute objectivité et honnêteté intellectuelle le projet marocain de statut d'autonomie pour le Sahara.

Le 22 avril 07
Dr. Mimoun Charqi.

Mode officiel de citation : Mimoun CHARQI, « L'AUTONOMIE, STADE SUPRÊME DE LA LIBRE AUTODETERMINATION & DES DROITS DES PEUPLES.
», http://CHARQI
.blog4ever.com


06/05/2010
1 Poster un commentaire

Pour la souveraineté stratégique et la sécurité nationale du Maroc

 

 

Télécharger

 


09/12/2023
0 Poster un commentaire

LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ENTRE DROITS INTERNES ET DROIT INTERNATIONAL[1]

LA LUTTE CONTRE LE TERRORISME ENTRE DROITS INTERNES 

ET DROIT INTERNATIONAL[1]

 

                                   Mimoun CHARQI

                                                     https://charqi.blog4ever.com

 

 

Le recours à la violence et à l’usage des armes, explosifs et autres n’est plus depuis longtemps du monopole des Etats. Les groupes et individus eux même y recourent. La recrudescence des actions terroristes semble avoir atteint de nos jours des pics sans pareils. La notion de « terrorisme » et de « crime terroriste » n’est pas nouvelle et les Etats depuis longtemps, aussi bien à l’échelle des droits internes que du droit international, ont essayé d’y apporter des réponses légales. La définition même du concept de terrorisme[2]n’a pas été sans difficultés. La distinction, entre terrorisme de droit commun, terrorisme politique, résistance, terrorisme individuel ou de groupes et terrorisme d’Etat ou orchestré dans l’ombre par l’Etat, terrorisme national ou transnational et autres, rajoute à la complexité de la chose.

 

Le dilemme, au sujet de la lutte contre le terrorisme, est celui de l’équilibre entre les actions et mesures engagées, dans la lutte contre le terrorisme, d’une part, pour protéger les personnes et les biens et, d’autre part, pour le respect du droit d’une façon générale, en particulier le droit international des droits de l’homme, et les droits de l’homme.

 

Le précepte est que rien ne saurait justifier les atteintes aux droits de l’homme, au motif de la lutte contre le terrorisme, de la sécurité nationale ou internationale... Pourtant, bien des Etats parmi les plus puissants même, ont souvent laissé de côté ce précepte. Or, l’Etat de droit ne peut légitimement verser dans l’illégalité ; autrement, il perd ainsi toute crédibilité. Avant d’aborder la question du dilemme, voyons ce qu’il en est du cadre légal général de la lutte contre le terrorisme.

 

I. Le cadre légal de la lutte contre le terrorisme

 

La particularité du terrorisme contemporain est qu’il revêt, de plus en plus, des ramifications internationales voire transnationales. Ce n’est pas sans raison, si à l’échelle universelle, la communauté internationale s’est efforcée de cerner la question du terrorisme. Le cadre normatif pour la lutte contre le terrorisme n’a eu cesse d’évoluer. Divers mécanismes et instruments internationaux conventionnels universels ou régionaux ont été adoptés. Il en découle des obligations à la charge des Etats. L’obligation d’incriminer les actes et actions figurant dans les conventions internationales et leurs protocoles, ainsi que l’obligation de prévoir dans le droit interne des peines quant aux actes terroristes tels que définis par le droit international.

 

  1. Le cadre légal international de la lutte contre le terrorisme

Le terrorisme pose un problème non seulement de sécurité nationale, mais aussi internationale. Le Conseil de sécurité des Nations Unies, en tant qu’organe chargé de la sécurité internationale et des menaces contre la paix, s’est chargé bien après l’Assemblée Générale (1972) de la question.

 

Durant la guerre froide, le Conseil de sécurité n’a pas pu se mettre d’accord pour considérer le terrorisme comme une menace contre la paix et la sécurité internationale. Avec la fin de la guerre froide, le Conseil de sécurité traite les situations au cas par cas (affaire de Lockerbie, 1992, affaire du Soudan (1996) et affaire des Talibans de 1998) et un tournant décisif apparaît dès septembre 2001. Puisque dans la foulée des attentats, soit le 12 septembre 2001, le Conseil de sécurité adopte, à l’unanimité la résolution 1368 (2001) qui reconnaît « tout acte de terrorisme international comme une menace contre la paix et la sécurité internationales».

 

La coopération judiciaire apparaît comme l’une des voies importantes des Etats dans la lutte contre le terrorisme, certains Etats ont quant à eux choisi la voie militaire pour la lutte contre le terrorisme.

 

La lutte contre le terrorisme passe nécessairement par la lutte contre le financement, l’asile, les appuis actifs ou passifs, ...

Le Conseil de sécurité s’est substitué, suite aux événements du 11 septembre 2001, aux prérogatives et attributions classiques de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

 

La lutte contre le terrorisme devient une obligation internationale, de surcroît encadrée par des institutions internationales telles que le Conseil de sécurité des Nations unies, le Comité 1267, le Comité contre-terrorisme et le Comité 1540.

 

La résolution 1566 (2004) octobre  2004 va, en effet, plus loin que les résolutions 1373 (2001) et 1540 (2004), car le Conseil de sécurité y rappelle que « les actes criminels, notamment ceux dirigés contre les civils dans l’intention de causer la mort ou de blessures graves (...) qui sont visés et érigés en infractions dans les conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme, ne sauraient en aucune circonstance être justifiés par des motifs de nature politique, philosophique, idéologique (...)».

 

         - Le Comité 1267 (comité des sanctions contre Al Qaïda et les Talibans) est composé par les états membres du Conseil de sécurité ; ce Comité tient une liste actualisée des individus et organisations liées à Al Qaïda, les talibans et Ben Laden.

 

         - Le Comité contre le terrorisme[résolution CS1373 (2001)], veille au suivi, au dialogue et à la coopération, assistance et coopération pour les mesures à la charge des Etats, dans leurs législations internes, au regard de cette même résolution.

 

         - Le Comité 1540 [(résolution CS 1540  (2004)  du 28  avril  2004)] a pour objet la prévention  du  risque d’utilisation d’armes de destruction massive par des acteurs non étatiques, en particulier par des groupes terroristes.

 

 2. Le cadre légal national de la lutte contre le terrorisme

C’est sous l’impulsion du Conseil de sécurité que les Etats se retrouvent obligés de revoir leurs ordres juridiques internes de façon à les adapter à la lutte contre le terrorisme. Le Maroc à l’instar de nombreux pays a revu sa législation et deux textes importants qui au demeurant se complètent ont été adoptés : la loi sur le blanchiment de capitaux et la loi sur la lutte contre le terrorisme[3].

 

 

Les Etats sont tenus au regard du droit international d’une double obligation :

         - l’obligation de diligence ou de vigilance, de ne rien faire qui pourrait favoriser ou promouvoir des actes terroristes ou les tolérer à l’encontre d’un autre Etat[4];

         - l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher et décourager sur son territoire des activités terroristes contre un autre Etat. 

 

Il est évident, que tous les Etats ne se soucient pas du respect de ces interdictions et obligations pourtant confirmées et réaffirmées.

 

II. Le dilemme de la lutte contre le terrorisme

Les institutions internationales ainsi que les Etats ne s’accordent pas tous sur la question du terrorisme et le problème est celui de la conciliation entre le respect des droits humains et la lutte contre le terrorisme.

 

1. Une pluralité de perceptions et de mesures à, l’égard du terrorisme

A l’échelle de la « communauté internationale », les perceptions et mesures des Etats envers le terrorisme sont diverses. Les perceptions nationales du terrorisme ne sont pas non plus uniformes et homogènes. Les intérêts en jeu y sont pour beaucoup. Les critères de désignation des listes d’individus ou organisations dites terroristes ne sont pas identiques. Les critères de l’ONU et de sa liste récapitulative[5], les critères de l’Union européenne, ceux de l’OCDE[6], ceux des Etats-Unis avec la liste d’exclusion des organisations terroristes[7].

 

Les modalités de traitement de la question terroriste ne sont pas non plus identiques ; négociation avec les terroristes ou passivité, criminalisation par la voie pénale ou guerre contre le terrorisme par la voie militaire, comme c’est le cas récemment avec la réponse aux évènements d’In Amenas[8].

 

La difficulté est celle d’une solution globale, uniforme et homogène en tant que réponse à la question du terrorisme. 

 

Avec la résolution 1373 du Conseil de sécurité, outre diverses autres conventions, trois grandes obligations sont mises à la charge des Etats :   

         - ne pas accorder d’asile aux terroristes ;

         - ne pas accorder le statut de réfugiés aux terroristes ;

         - contrôler les frontières.

 

2. La difficulté de la conciliation entre le respect des droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme

 

La lutte contre le terrorisme, ne doit pas être un prétexte pour les violations des droits de l’homme, du droit international des droits de l’homme, de la présomption d’innocence, de l’interdiction de la torture, du respect du droit à la vie, de la prévention démesurée... Les mesures devant être prises par la Etats au titre de la prévention doivent rester raisonnables « s’efforcer de prendre les mesures raisonnables en vue de prévenir les infractions » Article 10, paragraphe 1 de la convention de Montréal de 1971.

 

Le problème est celui de l’équilibre entre la lutte contre le terrorisme, la protection de la sécurité des personnes et des biens et le respect des droits de l’homme...

 

Suite aux attentats du 11 septembre 2001, plusieurs Etats ont adopté dans la précipitation des mesures législatives considérées comme une menace grave pour les droits humains. Des mesures répressives aux antipodes des droits de l’homme. Le plein respect des droits humains pour tout un chacun, quel qu’il soit, est primordial.... La véritable sécurité réside dans le respect des droits...

 

Les restrictions éventuelles à certains droits, ne peuvent être que de par la loi, exceptionnelles et limitées dans le temps : liberté de circulation et de résidence, liberté de la presse, liberté d’expression et de réunion, secret de la correspondance... Outre les restrictions, les instruments internationaux de protection des droits de l’homme prévoient la possibilité de dérogation. Toutefois, il ne peut être dérogé à certains droits : traitements inhumains, cruel, dégradants, torture, droit à la vie... 

 

Considérations finales

La réponse au terrorisme, quel qu’il soit, ne saurait être cantonnée et limitée aux mesures législatives, policières, judiciaires, répressives... Le développement, l’aide au développement, l’éducation, sont essentiels pour lutter contre le terreau social du terrorisme. Il n’y a pas de sécurité sans développement, comme il n’y a pas de développement sans sécurité.

 

La lutte contre les discriminations, les injustices, l’exclusion, la marginalisation, le sous-développement, l’ignorance, la précarité économique et sociale participe au plus haut niveau à titre préventif dans la lutte contre le terrorisme.

 

Notons que les Etats, eux-mêmes, ne sont pas toujours au-dessus de tous soupçons. La théorie de la gestion par le chaos fait qu’il arrive que certains Etats se retrouvent être à l’origine de crises et problèmes pour légitimer des interventions militaires. Toute une doctrine a été écrite sur la question avec des témoignages au sujet de la manipulation et de la responsabilité de certains Etats dans des attentats, dans la formation de groupes... Or, l’Etat soucieux du droit ne peut se permettre d’agir en dehors, ni en violation de la légalité.

 

La torture, les peines et traitements inhumains ou dégradants sont hors la loi et ne peuvent être justifiés au motif de la lutte contre la torture. Les intérêts de la sécurité nationale dans un Etat donné ne peuvent être opposés, en droit, aux normes impératives. La partition de la « sécurité nationale » ne peut être jouée contre les droits de l’homme. L’interdiction est absolue. Or le droit à l’intégrité physique et le droit à la vie ont souvent été ignorés par les Etats. Ainsi, la démocratie se doit d’être consolidée et réaffirmée, notamment dans la lutte contre le terrorisme.

 

In fine, dès lors qu’il y a des victimes se pose la question de leur indemnisation. L’Etat a l’obligation d’assurer la protection des personnes et des biens et de faire respecter le droit et d’agir légalement. L’Etat peut être tenu pour responsable, suite à la défaillance de ses agents et services. Certains Etats ont prévu des fonds pour l’indemnisation des victimes du terrorisme et de leurs ayants droits. Le phénomène du recours au terrorisme n’est pas prêt de disparaître. C’est la raison pour laquelle il est recommandable de mettre en place une entité ad hoc chargée de penser une véritable stratégie de lutte contre le terrorisme aussi bien en amont qu’en aval, dans le respect des droits de l’homme, avec plan et programmes d’actions précis.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]Communication à la conférence organisée par l’OMDH sur « Les crimes terroristes et les droits de l’homme ». 5 mai 2013. Hôtel Golden Tulip Farah. Casablanca.

[2]Selon le Larousse, le terrorisme est un « Ensemble d’actes de violence (attentats, prises d’otages, etc.) commis par une organisation pour créer un climat d’insécurité, pour exercer un chantage sur un gouvernement, pour satisfaire une haine à l’égard d’une communauté, d’un pays, d’un système ». Marco Sassòli, avec la collaboration de Lindy Rouillard. « La définition du terrorisme et le droit international humanitaire ». Article in, Revue québécoise de droit international (Hors série). (2007). Pages 29 à 48. Les éléments bloquants pour la définition de la notion de terrorisme tiennent à la distinction entre « terrorisme » et « résistance ». 

[3]Bulletin officiel n° 5114, du 05 juin 2003. Dahir n° 1-03-140 du 26 rabii I 1424 (28 mai 2003) portant promulgation de la loi n° 03-03 relative à la lutte contre le terrorisme. Bulletin officiel n° 5522, du 3 mai 2007.Dahir n° 1-07-79 du 28 rabii I 1428 (17 avril 2007) portant promulgation de la loi n° 43-05 relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux. Mimoun CHARQI«La lutte contre le blanchiment de capitaux au Maroc ». In https://charqi.blog4ever.com

Faut-il préciser que ces textes pris dans la précipitation gagneraient à être repris ?

[4]«Chaque Etat a le devoir de s’abstenir d’organiser et d’encourager des actes de guerre civile ou des actes de terrorisme sur le territoire d’un autre Etat, d’y aider ou d’y  participer ou de tolérer sur son territoire des activités organisées en vue de perpétrer de tels  actes, lorsque les actes mentionnés dans le présent paragraphe impliquent une menace ou un emploi de la force». A/Res. 2625(XXV), premier principe, paragraphe 9.

« Tous les Etats doivent aussi s’abstenir d’organiser, d’aider, de fomenter, de financer, d’encourager ou de tolérer des activités armées subversives ou terroristes destinées à changer par la violence le régime d’un autre Etat (...)». 3èmeprincipe, paragraphe 2.

[5]www.un.org/News/fr-press/docs/2012/CS10816.doc.htm

[6]http://www.oecd.org/fr/finances/assurances/34065616.pdf

[7]L'article 411 de la loi "USA PATRIOT" de 2001 (8 U.S.C. § 1182) habilite le secrétaire d'Etat américain à désigner, après consultation du ministre de la justice ou à sa demande, les organisations terroristes aux fins de l'immigration et à les inscrire sur la liste d'exclusion des organisations terroristes (TEL). Une telle désignation permet d'interdire aux étrangers ayant des relations avec les organisations figurant sur cette liste d'entrer aux Etats-Unis.

[8]Voir aussi les attentats de 1999, en Russie. www.geopolintel.fr/article236.html


13/12/2021
0 Poster un commentaire


Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser