- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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POUR DES REVENDICATIONS, AUX FINS DE REPARATIONS, POUR LES PREJUDICES SUBIS SUITE A L’UTILISATION D’ARMES CHIMIQUES DE DESTRUCTIONS MASSIVES DANS LE RIF

POUR DES REVENDICATIONS, AUX FINS DE REPARATIONS,  POUR LES PREJUDICES SUBIS  SUITE A L’UTILISATION D’ARMES CHIMIQUES DE DESTRUCTIONS MASSIVES DANS LE RIF[1]*.

 

Avant tout, je souhaite exprimer mes vifs remerciements à tous ceux et toutes celles qui ont contribués, d’une façon ou d’une autre, à cette rencontre. Et je saisi cette occasion pour témoigner de toute ma sympathie à nos amis, frères et parents espagnols ici dignement représentés par le professeur Maria Rosa De Madariaga.

 

Auprès de la « communauté internationale », le fait de posséder ou même d’avoir un programme d’armes chimiques ou biologiques de destruction massive est devenu un véritable spectre. A tel point que d’aucuns n’hésitent pas à agir de façon préventive comme tout un chacun a pu le voir avec les opérations militaires menées contre l’Irak. C’est dire combien ce qui touche aux armes de destruction massive peut être grave.

 

La question des armes de destruction massive est, aujourd’hui, fort d’actualité. Néanmoins, cela ne signifie nullement que le monde vient tout juste de découvrir les dangers et risques attenants à l’utilisation des armes chimiques. Déjà, au début du 20ème siècle, le Rif en a connu les affres. Aussi, est-il plus que légitime de rechercher réparation morale et matérielle pour le Rif et les rifains. Mais auparavant, il convient de rappeler ce qui s’est passé.

 

I. Rappels

Durant la guerre du Rif, l’Etat espagnol a fait usage d’armes chimiques de destruction massive[2] contre les populations rifaines. L’utilisation de ces armes chimiques était et demeure prohibée par les conventions internationales sur le droit de la guerre[3]. Différents documents et références reproduits par plusieurs auteurs et chercheurs, dans des travaux et publications divers, ont pu mettre en exergue le type d’armes chimiques, à base d’ypérite[4], de phosgène ou de chloropicrine, utilisées ainsi que leurs effets sur la population, les animaux et les plantes.

 

Les témoignages de ceux qui ont pu le vivre, directement ou indirectement, en temps que victimes ou en tant qu’agresseurs, ou instruments de l’agression, les opinions des experts, les publications d’écrivains, d’historiens et chercheurs sont  accablants. A l’époque, dans l’immédiat, le résultat en était la mort ou l’aveuglement des être vivants outre une végétation brûlée. Mais la question qui se pose est de savoir ce qu’il en est ensuite ? Après coup, est ce qu’il y a des effets néfastes consécutifs à l’emploi de ces armes chimiques[5] ? Ou pas ?

 

Si l’Etat espagnol se trouve être directement impliqué pour avoir illégalement utilisé des armes de destruction massive, prohibées par le droit international, notamment, contre des populations civiles démunies, il n’en reste pas moins que la responsabilité de l’Etat français, de l’époque, n’est pas en reste en tant que complice et partenaire de l’Etat espagnol, dans un premier temps, puis en tant qu’ayant lui même fait usage d’armes chimiques de destruction massive, dans la région de Fès, en 1925. De même que la responsabilité de l’entreprise allemande et de celle française ayant participées à la production et à la vente de ces armes chimiques.

 

L’utilisation de ces armes chimiques de destruction massive a eu pour résultat de nombreuses victimes, [les cibles principales étant les marchés], la reddition de Mohamed Abdelkrim El Khattabi et, par suite, la fin de la guerre du Rif.

 

Force est de noter qu’à ce jour aucune voix ne s’est élevé pour dénoncer et condamner officiellement ce qui s’est passé au début du siècle dernier.

 

Pire, l’utilisation de ces armes chimiques semble d’actualité en raison de la relation de cause à effet entre ces mêmes armes de destruction massive et des maladies diverses telles que les cancers du larynx dont sont atteint les habitants de la région du Rif. Les statistiques des hôpitaux marocains attestent que le taux de certains cancers atteint un pic alarmant dans la région du Rif. Ce taux est sans commune mesure avec les autres régions. Quelle peut dès lors en être la raison ? La raison mise en évidence par l’histoire et les experts est précisément l’utilisation de ces armes chimiques de destruction massive. En ce qui concerne l’ypérite, divers rapports et études faits par des scientifiques de renommée internationale, [que l’on retrouve sur Internet], affirment, notamment, les effets cancérigènes et mutagènes de cette même ypérite[6].

 

Aujourd’hui, si d’aucuns s’accordent  à reconnaître, car on ne peut nier les faits et évidences, que l’utilisation des armes chimiques de destruction massive sur le Rif et sa population a bien eu lieu, toujours est-il que certains :

          - s’efforcent de minimiser sans grande conviction l’impact de ces utilisations ;

          -  essayent de soutenir que la science ne peut pas affirmer la relation de cause à effet entre l’utilisation de ces armes chimiques de destruction massive et le fort taux de cancers dans le Rif ;

          - voire même s’interrogent sur l’intérêt d’un colloque sur le thème en question.

 

Les scientifiques et autres historiens ne sont pas toujours neutres. Loin s’en faut. Et la science elle même n’a jamais été neutre. Pour ce qui nous concerne, il est des faits. Des faits avérés et certains : L’utilisation d’armes chimiques de destruction massive contre des populations sans distinction aucune de leur caractère civil ou militaire, hommes ou femmes, adultes, vieillards ou enfants,… contre des animaux, contre la végétation,…

 

L’impact immédiat et à court terme a été terrible, désastreux, inhumain, catastrophique, apocalyptique,… Ainsi, un certain nombre de question se posent :

         -  Comment évaluer les dégâts causés ? Comment évaluer les préjudices en pertes humaines, animales, matérielles et végétales subies ? Quel est le nombre de personnes victimes directes ou indirectes de l’utilisation des armes chimiques de destruction massive contre le Rif ?

          - Comment évaluer le préjudice subit dans le temps et dans l’espace par le Rif et les rifains ?

 

Des populations de paysans libres se sont retrouvées agressées, envahies, anéanties, gazées jusqu’au plus profond de leurs chaires et de leurs êtres, par deux superpuissances européennes au fait de la technologie militaire et sur- armées.

 

Officiellement, aucune reconnaissance de la responsabilité des différentes parties en cause n’a jamais été admise, à ce jour. Pourtant, les faits sont là. L’Espagne, la France et leurs complices ont commis une faute en violation des obligations découlant du droit international et de cette faute est résulté un préjudice historique qui se poursuit encore aujourd’hui dans la chaire des héritiers des rifains d’hier.

 

Aujourd’hui, le Rif et ses populations demeurent une région pauvre, enclavée et délaissée. Sans infrastructure, sans hôpitaux, sans industrie ni économie viable, … Les personnes atteintes de cancers doivent se déplacer jusqu’à Rabat pour pouvoir suivre des soins, avec tout ce que cela suppose comme contraintes et quand elles peuvent se le permettre.

 

 Le moins que l’Espagne, la France et leurs complices d’hier peuvent faire c’est d’exprimer une bonne foi présente :

         - En reconnaissant moralement la responsabilité historique, politique et juridique de l’Etat espagnol et de l’Etat français d’antan ;

         - En participant à l’évaluation des préjudices subis ;

        -  En procédant à réparation, dommages et intérêts vis-à-vis du Rif et de ses populations.

 

 II. Projet de plan d’action

L’action en vue de cette reconnaissance et aux fins de réparations peut théoriquement intervenir selon trois axes : à l’amiable, par voie judiciaire et de façon médiatisée.

 

 1. Une action médiatique

Dans tous les cas, les actions en revendication doivent être appuyées par une forte campagne médiatique de communication auprès des médias nationaux et internationaux ainsi que par Internet. La création d’un site Web avec un appel à signatures pour condamnation de l’emploi d’armes chimiques de destruction massive dans le Rif ainsi qu’une adresse email pour toutes ces actions est fort indiquée. Il faudrait, probablement, tisser un réseau de personnes ressources d’appui et de relais, à l’échelle nationale et internationale.

 

2. Le choix d’une action amiable pour obtenir reconnaissance et réparation

A priori, une solution amiable pour obtenir reconnaissance de responsabilité et réparation serait la voie même de la sagesse. Néanmoins, tout porte à croire qu’une telle éventualité ne risque pas de recueillir facilement assentiment de la part des concernés.

 

 2.1. Qui devrait agir ?

Dans la perspective d’une action amiable, qui aurait qualité du point de vue juridique pour discuter, au nom du Rif et de sa population une telle solution ?

           - L’Etat marocain ? Ce dernier ne semble pas, à priori, intéressé par une telle éventualité !

            -  L’association des victimes de la guerre chimique dans le Rif ? Cela est théoriquement possible. [Pour cela, cette association devrait recevoir mandat, en ce sens, par des victimes ou héritiers de victimes].

            -  La fondation Mohamed Abdelkrim El Khattabi ?

            - Une autre entité ad hoc crée pour la circonstance ?

Au préalable, il convient de se demander ce que l’on souhaite exactement. Au nom de qui ? Pour qui ? Comment ?

 

 2.2. Qui saisir ?

Il faudrait s’adresser à ceux qui devraient reconnaître leurs responsabilités et réparer. En l’occurrence, l’Etat espagnol, l’Etat français, le congrès espagnol, l’armée espagnole, l’entreprise allemande concernée, [Stolzenberg], l’entreprise française [Schneider],…

 

Bien que cette hypothèse d’une solution amiable ne semble pas avoir beaucoup de chances de succès, toujours est-il que pour des considérations de forme, il est indiqué que des correspondances soient engagées en ce sens.

 

3. Le choix d’une action judiciaire pour obtenir reconnaissance et réparation

Faudrait-il engager une action devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme, afin de demander et obtenir réparation ? Cette institution présente des intérêts pour avoir réparation, dommage et intérêts. Toujours est-il que pour que cette institution soit compétente, il faut au préalable avoir épuisé les voies de recours préliminaires. En conséquence, il faudrait saisir les tribunaux espagnols et/ou français et à défaut d’avoir et obtenir gain de cause la voie serait dès lors ouverte pour la Cour Européenne des droits de l’homme.

 

3.1. La saisine des tribunaux espagnols et/ou français

Peu importe qu’il s’agisse des tribunaux espagnols ou français. Néanmoins, le choix de la ville peut quant à lui être important. Il faudrait également voir parmi les militants le choix de l’avocat qui serait chargé du dépôt de la requête. A ce sujet diverses questions se posent :

 

             1. Contre qui intenter ces actions ?

L’Etat espagnol - l’Etat français - le congrès espagnol - l’armée espagnole - l’entreprise allemande concernée, [Stolzenberg], l’entreprise française [Schneider],…

 

             2. Qu’en est-il de la préparation du dossier ?

En quoi doit consister le dossier ? Outre la requête proprement dite, le dossier juridique avec ses arguments doit comporter les documents techniques suivants : Publications sélectives en relation avec la guerre chimique sur le Rif – Dossiers médicaux de personnes victimes de la guerre – Rapports d’experts – Mandats de victimes ou d’héritiers de victimes     – Dossier sur la situation économique et sociale dans le Rif – Sort de la région et de la population sur le plan médical, sur le plan des infrastructures, du niveau de vie, de la santé, …

 

             3. Qu’en est-il des témoins ?

Hormis les experts, la question est de savoir s’il y a il encore des témoins vivants parmi ceux qui ont participé à la guerre chimique contre le Rif ? Et s’il y a encore des témoins vivants parmi ceux qui ont subi la guerre chimique contre le Rif ?

 

            4. Qu’en est-il de l’objet de la plainte ?

L’objet de la plainte serait :

              - Obtenir par voie judiciaire devant les tribunaux reconnaissance des crimes historiques et politiques contre l’humanité commis en violation des règles élémentaires du droit international et des droits humains, en raison de l’utilisation d’armes chimiques de destruction massive dans le Rif.

             - Obtenir évaluation et confirmation des dommages et préjudices subis individuellement et collectivement par les rifains d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

            - Obtenir réparation morale et matérielle pour les dommages et intérêts pour les préjudices subis.

 

 3.2. La saisine de la Cour Européenne des droits de l’homme.

Dans le cas ou les différentes actions préliminaires, offertes par les voies de recours internes, espagnoles et/ou françaises, ne donneraient pas gain de cause, la voie royale serait dès lors ouverte pour la compétence de la Cour Européenne des Droits de l’homme. Cette dernière n’est compétente que pour autant que les voies de recours internes sont épuisées et que le demandeur n’ait pas pu obtenir réparation. La procédure devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme est des plus aisées et la tradition de cette Cour, au regard de sa jurisprudence, permet d’être confiante dans la justesse de ses décisions.

 

Copyright Mimoun CHARQI

                                                                                 

 

 



[1] Communication faite au colloque international organisé par le journal « le monde amazigh » à Nador, le 14 février 2004, sur « L’utilisation des armes chimiques entre hier et aujourd’hui : le cas de la guerre du Rif et ses conséquences ».

 [2] D’aucuns pourront gloser et polémiquer sur l’emploi du terme « massif », en arguant que l’utilisation des armes chimiques contre le Rif n’aurait pas été massive. Mais à partir de quel moment il y a lieu de parler correctement d’emploi massif d’armes chimiques ? Compte tenu des moyens de l’époque, ce qui a été mis en place et utilisé ne peut être qualifié que de « massif ». D’autant plus que, par définition, les armes chimiques dont-il s’agit ici sont des armes chimiques de destructions massives.

[3] Notamment, la Convention de Strasbourg entre le France et la Prusse (1675), la Déclaration de Bruxelles entre plusieurs pays d’Europe (1874), (signée mais non ratifiée), la Convention de la conférence internationale de la Haye (1899), le traité de Versailles (1919) et surtout le Protocole de Genève (1925), la Convention de 1972 et la Convention de 1993.

[4] Au sujet de l’ypérite ou gaz moutarde, le bureau de la non prolifération, du département d’Etat américain, écrit qu’il s’agit d’un « agent liquide qui émet une vapeur nocive causant des brûlures et des cloques lorsqu’elle est en contact avec la peau. Lorsqu’elle est respirée, l’ypérite endommage les voies respiratoires ; ingérée, elle cause vomissements et diarrhée. Elle attaque et endommage les yeux, les muqueuses, les poumons, la peau et l’appareil sanguin. (…) ; Ses effets à long terme les plus graves sont dus au fait que, sous forme de gaz, elle est cancérigène et mutagène. Il n’existe pas d’antidote contre l’ypérite ». C’est nous qui soulignons. Voir Service d’information du département d’Etat des Etats Unis. http://usinfo.state.gov/français/pubs/irak/weapons.htm Voir églt., Armes chimiques Agents vésicants (Ypérite). http://membres.lycos.fr/armch/agentsvesicants.html ? Sur les mutations géniques et le caractère mutagène, Jérôme LEJEUNE et Raymond TURPIN écrivent : « Ces mutations invisibles avec les techniques actuelles et n’interférant pas avec la mécanique méiotique sont à l’origine de la plupart des maladies héréditaires connues chez l’homme ». « (…), il n’est pas inutile de rappeler que de nombreuses substances chimiques sont elles aussi mutagènes. Il n’est d’ailleurs nullement impossible que ces mutagènes chimiques jouent dès maintenant un rôle dans notre espèce, bien qu’on ne l’ait pas encore mis en évidence.

Depuis 1942 et la découverte par Auerbach et Robson de l’activité mutagène du gaz moutarde ou « ypérite », la liste des agents radiomimétiques n’a cessé de s’accroître. (…) ». In : Les effets génétiques des rayonnements ionisants. Luigi GEDDA. « De genetica medica » - Pars III ; Edizioni dell’istituto « gregorio mendel » - Roma 1961. Pages 10 et 11. http://www.fondationlejeune.org/Content/hercher/Do…

[5] Le fait que, quelque part, des experts affirment que l’état de la science, actuellement, ne permet pas d’affirmer qu’une relation de cause à effet puisse être établie entre l’utilisation des armes chimiques contre le Rif et les cancers dont sont atteints les personnes de la région plusieurs décennies plus tard n’est pas la preuve de l’absence de cette relation. Il sied également de rappeler les Etats ont souvent refusé de reconnaître les effets néfastes des armes sur la santé des personnes. Faisant suite aux bombardement effectués sur Halabja, en 1998, le Dr Christine GOSDEN, professeur à l’université de Liverpool, écrit, en 1998, [dans un rapport pour l’Institut de recherches sur le désarmement des Nations Unies], avoir relevé « des cas de cancers rares, des malformations chez les enfants, de fausses couches, d’infections pulmonaires récurrentes et de problèmes neuro-psychiatriques graves. Le gaz moutarde (ypérite) a brûlé des cornées, provoquant des cécités. Des cancers risquent de n’apparaître que cinq à dix années après l’exposition ». Voir Fred PEARCE. Guerre et environnement : réactions en chaîne. Le Courrier. Unesco. Mai 2000.

http://www.unesco.org/courrier/2000_05/fr/planet.htm

[6] Voir supra note 3.



19/05/2010
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