- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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POUR LA CONSOLIDATION DES DROITS DES AMAZIGHS

POUR LA CONSOLIDATION DES DROITS DES AMAZIGHS[1]

 

                                       

 

Azul felawen,

Mesdames et messieurs bonjour,

 

Après avoir remercié les organisateurs et toutes celles et tous ceux qui, d’une façon ou d’une autre, ont œuvré pour cette rencontre, je voudrais avoir une pensée pour le vent des mouvements pacifiques de revendications et de libertés qui depuis le Sud de la méditerranée a commencé à souffler sur le monde. Lors d’une journée d’étude sur l’identité[2], devant l’expression des sentiments identitaires et culturels amazighs, l’un des participants, pour sur non amazigh, a cru bon de s’offusquer et d’affirmer qu’il était dangereux de revendiquer une identité et une culture amazighe, et bien sûr, de surcroît, des droits pour les amazighs. Ce à quoi il se vit répondre que ce qui était dangereux c’était de ne pas reconnaître l’autre et de ne pas tenir compte des sentiments, identités et cultures d’autrui, de l’exclusion, de la marginalisation...

 

Avant d’épiloguer sur la question de la consolidation des droits des amazighs, il convient de rappeler ce qu’il en est de la situation des droits des amazighs, aujourd’hui. Il est clair que les peuples amazighs, d’une façon générale, sont loin de bénéficier, comme il se devrait, des droits reconnus selon les standards universels des droits de l’homme. Au moins, deux grands axes méritent qu’on s’y attarde : le premier a trait à la langue, à la culture et à la reconnaissance, tandis que le second porte sur la question du droit au développement et à la prise en main de son destin.

 

1. Le droit à la langue, à la culture et à la reconnaissance

 

1.1. Le droit à l’identité culturelle

J’ai souvenir que, longtemps durant, certains berbères n’osaient pas s’entretenir dans leur langue maternelle, dès lors qu’ils n’étaient pas entre eux mais dans des cercles constitués de personnes autres que d’origine amazighe.

 

« Chleh », « chlieh », ou « chleu » était des termes péjoratifs utilisés, au Maroc, par les non amazighs, pour qualifier l’amazigh, le berbère considéré comme individu de second rang. Ce complexe, que d’aucuns pouvaient avoir, semble s’estomper avec le temps. Le berbère n’a plus honte de parler sa langue et de revendiquer son identité et sa culture amazighes. La prise de conscience des peuples berbères semble faire son chemin.

 

Pourtant, aujourd’hui encore, nombre de parents ont toujours des difficultés à donner à leurs enfants des prénoms amazighs. Le Maire de Nador, en la personne de Tarik Yahya, qui avait décidé, en 2003, selon les compétences du Conseil municipal, d’utiliser les caractères Tifinagh sur les panneaux de signalisation et les extraits d’état civil avait eu toutes les difficultés inimaginables avec les autorités.

 

1.2. La revendication et l’exercice de droits effectifs

Les populations amazighes sont de plus en plus revendicatrices d’un droit à la langue, à la culture amazighe et à la reconnaissance nationale. Au-delà des statistiques et chiffres officiels, [dont chacun conviendra que l’on peut en faire tout ce que l’on veut], un grand nombre de populations amazighes trouve énormément de difficultés avec l’Administration et ses services pour ne pas connaître d’autre langue que celle d’origine.

 

Il convient de noter que, du point de vue du droit, les constitutions réaffirment le principe de l’égalité entre les ressortissants. Que les instruments internationaux, réaffirment divers principes dont celui de la non discrimination, de l’égalité, des droits des peuples autochtones...

 

Dans le cas du Maroc, à titre d’exemple, certains efforts commencent à se faire ces derniers temps. Preuve s’il en est la création de l’IRCAM, les émissions de radio et télévision, les festivals, les caractères tifinagh… Toutefois, le hiatus est important entre ce qui se fait et les revendications du mouvement amazigh.

 

L’amazigh langue nationale, langue officielle ou constitutionnelle ? Tel était le débat, au Maroc, au moment de l’élaboration de la réforme de la dernière constitution. Aujourd’hui, la constitution consacre, au Maroc, l’Amazighe comme langue officielle. Mais cela ne suffit pas pour régler le problème.

 

Il est important d’éviter les écueils de la forme et du simple « folklore ». L’important est que toute personne, tout contribuable, tout administré ou justiciable puisse se faire entendre et comprendre dans sa langue, dans la langue qu’il comprend. Le problème est un problème de droits et de citoyenneté,… C’est plus le problème de l’Etat, que celui des individus.

 

2. Le droit au développement et à la prise en main de son destin

 

2.1. Le droit au développement

Le droit au développement peut laisser paraître le droit à la langue et à la culture comme étant accessoire. Le problème tient à ce que des populations et régions amazighes entières se sont retrouvées exclues du développement économique, social, sanitaire, culturel et autre. Dans le cas du Rif, à titre d’illustration, il aura fallut attendre 50 ans après l’indépendance politique du pays, avant que l’Etat ne commence à s’y intéresser et songe au lancement de projets d’infrastructures. Est-il besoin de dire que le problème de l’accès des populations amazighes au développement, à la croissance économique, au bien être social, à la santé, à la sécurité, à la salubrité, à la scolarité, à l’égalité des chances, et j’en passe, n’est pas encore résolu pour autant ? Ailleurs, nombre d’ayants droits se retrouvent spoliés du droit à la propriété foncière, du droit à l’eau, du droit à la santé[3],...

 

Mais le Rif, en dépit de tous ses atouts et potentiels, n’est pas vraiment la seule région dans ce cas. Il faut sortir des villes et s’enfoncer dans le pays berbère pour se rendre compte de l’exclusion et de la marginalisation dont pâtissent les populations concernées. Cela est valable aussi pour les imazighen de l’ensemble de Tamazgha.

 

Dès lors que l’égalité des ressortissants est réaffirmée par les textes juridiques nationaux et/ou internationaux, est ce que l’ensemble des populations concernées n’est pas en droit de prétendre et réclamer un traitement égalitaire ?

 

2.2. La prise en main de sa destinée

Depuis plusieurs années maintenant, l’élite amazighe est convaincue de l’intérêt de la démocratie participative, de l’autonomie des régions, de la séparation des pouvoirs,... Les Kabyles s’y sont engagés avec le mouvement pour l’autonomie dela Kabylie, au Maroc le manifeste pour l’autonomie du grand Rif porte le principe du droit à l’autonomie des régions et la déclaration d’Al Hoceima à laquelle les amazighs du monde ont participé fait mention du droit des peuples et régions autonomes pour Tamazgha.

 

Considérations finales

La consolidation des droits des amazighs doit se tourner vers l’avenir et faire en sorte qu’au-delà de la prise en compte des sentiments des populations concernées, les droits reconnus par les instruments nationaux et internationaux soient traduits dans les faits et deviennent effectifs. Cela suppose un plan d’action idoine sur la base d’une vision claire balisée par des principes, autant en ce qui concerne les amazighs qui sont restés sur leurs terres que ceux qui ont choisi l’exil.

 

1. La fin de l’Etat centralisé et le droit à l’autonomie des régions

Les Etats centralisés n’ont pas réussi à mettre sur pied des politiques de développements destinées à l’ensemble de leurs peuples et régions. Les Etats centralisés partout ont montré leurs limites. L’Etat centralisé, a su combiner, par exemple au Maroc, l’Etat gendarme et l’Etat providence, par le contrôle et le sécuritaire, puis par des programmes, tels que la promotion nationale, puis récemment l’INDH,[4] qui demeurent bien en deçà des espérances et fort limités quant aux impacts et résultats en matière de croissance et de développement économiques et sociaux. Il est temps que les Etats centralisés atteignent l’âge de la raison et cèdent la place aux Etats des régions autonomes.

 

L’autonomie prévue pour le Sahara devrait être pensée pour l’ensemble du Maroc et pourquoi pas servir de modèle pour l’ensemble de Tamazgha. Il ne peut y avoir une régionalisation à deux vitesses, l’une pour le Sahara et l’autre pour les autres régions du pays.

 

Les droits des amazighs peuvent trouver leurs expressions dans le développement de l’autonomie des régions de leurs Etats respectifs et la responsabilisation des populations concernées quant à leurs destins. C’est pourquoi, la déclaration d’Al Hoceima parle de Tamazgha comme Maghreb des peuples et régions autonomes.

 

2. Les droits des amazighs de la diaspora

Le sentiment d’appartenance à une identité et à une culture originelle commune peut assurément consolider fortement des droits des amazighs, où qu’ils soient, autant dans leurs pays d’adoptions que dans leurs pays d’origines. L’organisation dans le cadre d’institutions associatives, syndicales ou politiques regroupant les amazighs ne peut que leur donner la force et le poids nécessaire afin de faire valoir leurs droits. En s’organisant, les amazighs peuvent peser sur leurs devenirs dans les pays de résidences dont ils ont acquis les nationalités. Les amazighs de la diaspora bénéficient certainement de plus de droits dans leurs pays d’adoptions, dans la mesure où il s’agit d’Etats de droits. Mais, la vigilance doit être de mise surtout par les temps de crises et de montée de la xénophobie.

 

3. Un plan d’action

Le plan d’action c’est ce qui devrait être discuté, lors des ateliers des commissions, pour voir quelles mesures entreprendre aux échelles nationales et internationales afin de faire en sorte que les droits des amazighs deviennent une réalité non seulement de juris mais de facto. Les grands principes devant servir de balises à ce plan d’action c’est ce qui figure dans l’objet même du projet de statuts de l’Association mondiale amazighe et du projet de Manifeste de Tamazgha.

 

 



[1] Conférence inaugurale àla VIe assemblée générale du Congrès mondial amazigh. Bruxelles les 10 et 11 décembre 2011.

[2] « L’identité, les sentiments et revendications doivent être au cœur de la révision de la constitution », in https://charqi.blog4ever.com 

[3] « Difficultés et aspirations des populations rifaines », in https://charqi.blog4ever.com

[4] Initiative nationale pour le développement humain



20/12/2011
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