- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

ANALYSE CRITIQUE DU CADRE ET DES INSTRUMENTS LÉGAUX RELATIFS À LA PROTECTION DES MINEURS MAROCAINS MIGRANTS NON ACCOMPAGNÉS

ANALYSE CRITIQUE DU CADRE ET DES INSTRUMENTS LÉGAUX RELATIFS À LA PROTECTION DES MINEURS MAROCAINS MIGRANTS NON ACCOMPAGNÉS[1]

 

                                                                                      Pr. Dr. Mimoun CHARQI

                                                                  Charqi1@yahoo.fr

 

 

Le Maroc est signataire de différents instruments internationaux relatifs à la prévention de l’émigration illégale des mineurs avec pour objectif leurs protections et leurs retours à leurs lieux d’origines.

 

Si la problématique est celle de la protection et de l’assistance aux mineurs en situation d’immigration irrégulière, le but est que les droits de ces mineurs soient respectés, et ce depuis l’identification initiale de l’enfant à risque jusqu’à sa réinsertion sociale. Cela suppose une prise en charge à la fois préventive et curative, aussi bien en amont qu’en aval.

 

Mais qu’en est-il du cadre législatif formé par les instruments de droit marocain et de droit international qui encadrent les droits des enfants migrants ? On y retrouve une pluralité de textes qui requièrent harmonisation et ne règlent pas le problème.

 

  1. Une pluralité de textes, de principes et de règles de protection

 

  1. Les conventions et mécanismes internationaux 

De prime abord, il convient de noter que le Maroc ainsi que les pays de l’Union Européenne, dont bien sur l’Espagne, ont ratifié les instruments généraux et un instrument spécifique.

            

1.1.  Un instrument spécifique :la Convention internationale des Droits de l’Enfant

Avec la Convention internationale des Droits de l’Enfant, les pays signataires affirment des principes essentiels : « l’intérêt supérieur de l’Enfant » ; « le Droit à la vie, à la survie et au développement » ; « la non-discrimination et le respect des opinions de l’Enfant »

 

La protection de l’enfant se retrouve en filigrane comme principe fondamental tout le long de la convention internationale relative aux droits de l'enfant[2].

 

De même que le Maroc et l’Union européenne sont parties des traités suivants qui sont des instruments généraux : 

 

1.2.  Les instruments généraux

-  Le Pacte international relatif aux Droits civils et politiques ;

-  Le Pacte international relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels ;

-  La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; 

-  La Convention contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement ; 

-  La Convention Internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale ;

-  La Convention relative au statut de réfugiés ainsi que son protocole facultatif. 

 

Par ailleurs, le Maroc ainsi que l’Union Européenne ont, également, ratifié les Conventions 138 et 182 de l’Organisation internationale du travail (OIT) ainsi que les 2 protocoles facultatifs à la Convention internationale des droits de l’enfantà savoir :

-  le 1erprotocole sur l’implication d’enfants dans les conflits armés ;

-  le 2e protocole sur les trafics, vente d'enfants, prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. 

 

En outre le Maroc a ratifié :

 

     La Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille,entrée en vigueur en juillet 2003.

 

Cette convention réaffirme les droits fondamentaux de l'ensemble des travailleurs migrants et des membres de leur famille tels que :

- le droit à la vie ; 

- le droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; 

- le droit à la liberté d'opinion, de religion, etc.

 

Les articles 29 et 30 de cette convention qui concernent tous les travailleurs migrants, quel que soit leurs statuts, qu’ils soient ou non en situation régulière, réaffirment :

- le droit de l'enfant au nom, à l'enregistrement de sa naissance et à une nationalité, (article 29) ;

- le droit à l'éducation sur la base de l'égalité de traitement avec les ressortissants de l'Etat en cause. (Ainsi l'accès à la scolarité et à l’éducation ne doit pas être refusé en raison de la situation irrégulière de l’enfant), (article 30). 

 

D’autres instruments peuvent être mentionnés :

  • Les Principes directeurs du Haut-Commissariat des Nations Unies pourles Réfugiés (UNHCR) sur :

—      les politiques et procédures applicables aux mineurs non accompagnés demandeurs d'asile (1997) et

—       la détermination formelle de l’intérêt supérieur de l’enfant (2006) ; 

 

  • La résolution du Conseil de l’Union européenne, du 26 juin 1997, relative aux mineurs non accompagnés ressortissants de pays tiers.

 

Cette résolution définit des lignes directrices concernant :

—    les conditions d'accueil, de séjour et de retour à prévoir et, dans le cas des demandeurs d'asile, le déroulement des procédures applicables. 

 

  • La Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite desêtres humains (2005) ainsi que les 20 principes directeurs du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le retour forcé (2005) ; 

 

  • La Recommandation 1596 (2003) de l’Assemblée parlementaire relative à la situation des jeunes migrants en Europe et la recommandation 1703 (2005) relative à la protection et assistance pour les enfants séparés demandeurs d’asile ;

 

  • Les Principes directeurs inter agences du Comité International de la 

Croix- Rouge relatifs aux enfants non accompagnés ou séparés de leur famille (2004).

 

A l’échelle régionale africaine, le Maroc a ratifié la Convention régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique.

 

2. Textes législatifs marocains relatifs à la migration régulière et irrégulière 

 

En ce qui concerne la législation marocaine, deux textes peuvent être rappelés :

-     la Loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et à l’immigration irrégulières de 2003 ;

-     le Code de procédure pénale. 

 

Les mineurs émigrés ayant quitté le territoire marocain sans titre régulier de voyage et qui se retrouvent renvoyés sur le territoire marocain par les autorités de l'Etat où ils sont entrés clandestinement sont sujet à difficultés dès lors qu’ils posent le pied sur le territoire national.

 

La loi prévoit pour l'émigration irrégulière des sanctions à son article 50 avec une peine d’emprisonnement allant d’un à six mois et une amende allant de 3000 à 10.000 dirhams ou l'une de ces deux peines pour qui quitte le territoire marocain irrégulièrement. 

 

La loi ne prévoit rien par contre quant à la réinsertion du mineur rendu au Maroc. Les risques encourus par le mineur expulsé doivent être pris en compte.

 

Il faut cependant noter que lCode de procédure pénale de 2003donne au juge des mineurs le pouvoir de décider s’il y a lieu de poursuivre ou non le mineur concerné

 

3. Les accords bilatéraux entre le Maroc et l’Espagne 

Les accords[3]bilatéraux suivants peuvent être mentionnés :

  • Le Mémorandum d’entente sur le rapatriement assisté des mineurs marocains non accompagnés (26 décembre 2003) ;
  • L’accord bilatéral de réadmission pour les mineurs non accompagnés

(2007), (A ratifier) ;

 

Notons que cet accord ne prévoit pas de garantie pour la préservation des intérêts supérieurs de l’enfant.

 

  • L’accord de partenariat Maroco-Catalan dans le domaine de la migration irrégulière des mineurs marocains non accompagnés. Cet accord prévoit le « programa Catalunya Magrib »[4].  

 

4. Les principes et règles pour la protection du mineur à risque

Il faut relever qu’il y a difficulté à respecter les principes directeurs pour la protection de l’enfant. Ces principes et règles peuvent être classés en principes généraux et en principes spécifiques.

 

4.1. Les principes généraux affirmant les droits de l’enfant sont les suivants :

- L’intérêt supérieur de l’enfant ;

-La non-discrimination ;

-Le respect des opinions de l’enfant ;

-Le droit à l’information ;

- Le droit à la confidentialité ;

- Le droit à la protection. 

 

4.2. Les principes directeurs spécifiques affirmant les droits de l’enfant sont :

- Le droit à une représentation légale ; 

- Les droits des mineurs victimes de traite et/ou d’exploitation ;

- Le droit à un projet de vie individuel ;

- Le droit à la scolarité ;

- Etc.

 

II. Lecture critique des textes et procédures de protection des mineurs à risque

 

La lecture critique de la situation dans laquelle peuvent se retrouver et se retrouvent les mineurs migrants peut se faire selon trois axes :

- Les instruments juridiques relatifs à la situation des mineurs migrants marocains expulsés/rapatriés ;

-  La protection dans ses différents aspects et niveau, en amont, en aval et durant, avec le retour lorsque cela est possible et indiqué et dans tous les cas l’insertion ou la réinsertion ;

- Les modalités de mise en œuvre des accords et législations ainsi que la question du suivi et de l’évaluation. 

 

A l’issue de l’analyse du cadre législatif et de la situation des mineurs marocains rapatriés, au regard des différentes études et rapports, il apparaît clairement : 

-       La nécessité d’une révision et d’une harmonisation du cadre législatif ;

-       La procédure de protection, de retour concerté et de réinsertion des mineurs marocains migrants n’est pas suffisante.

 

 

1. Le cadre législatif exige une révision et une harmonisation

Le cadre législatif exige une révision si l’on souhaite régler le problème et répondre aux contraintes. Cette révision peut être opérée comme suit :

 

1.1.     Primo,l’harmonisation et l’homogénéisation des législations

Harmonisationdes accords bilatéraux entre le Maroc et l’Espagne avec la Convention internationale des droits de l’enfants et les différents traités internationaux applicables aux migrants mineurs avec insertion d’une procédure de protection, de retour concerté et de réinsertion ;

 

1.2.     Secundo,la dépénalisation

Il faudrait prévoir la dépénalisation, au Maroc, en ce qui concerne l’enfant mineur au niveau de la loi 02-03 relative à l'entrée et au séjour des étrangers au Maroc à l'émigration et à l'immigration irrégulières en y insérant des règles et conditions d’insertion. Aujourd’hui, bien que le parquet dispose du pouvoir, de l’opportunité, de renoncer à toutes poursuites, et même s’il semble agir généralement ainsi il convient de le prévoir expressément dans la loi.

 

1.3.     Tertio, l’Insertion et/ou la réinsertion

Il est reconnu que, généralement, la façon dont se déroule le rapatriement des mineurs en situation illégale d’immigration n’est pas toujours, loin s’en faut, assuré en tenant compte du respect du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant mineur. Il n’y a pas de garantie d’une protection idoine du mineur avec prise en charge afin de veiller à l’insertion et/ou la réinsertion sociale, psychologique, économique, scolaire et autres.

 

1.4.    Quarto,le suivi

Le suivi des enfants mineurs rapatriés dans leur pays n’est pas pris en charge par les institutions Par ailleurs, la coordination entre les différents intervenants devrait être améliorée avec la mise en place d’un suivi et d’un système d’information idoine, fiable et actualisé.

 

2. La procédure de protection, de retour concerté et de réinsertion des mineurs marocains migrants n’est pas suffisante

 

2.1. La procédure mentionne les principes de l’intérêt supérieur du mineur

Le Maroc a élaboré une procédure de retour concerté et volontaire des mineurs. Cette procédure prend en compte les principes de l’intérêt supérieur, de la protection, de la réinsertion et de la réintégration du mineur migrant marocain.

 

Cette procédure tient compte des principes directeurs de la Convention internationale des Droits de l’Enfant à savoir : 

- L’intérêt supérieur de l’enfant ; 

- La non-discrimination ; 

- le droit au développement ;

- Le respect des opinions de l’enfant.

 

En outre, elle tient compte des recommandations du Comité des droits[5]de l'enfant, relatives au traitement des enfants non accompagnés et isolés à l'extérieur de leur pays d'origine. 

 

La procédure précitée met l’accent sur :

- Le protocole d’accord de retour concerté devant être signé par le mineur (en présence de son tuteur dans le pays d’accueil), sa famille ou son tuteur légal ;

- Le transfert sécurisé du mineur vers le pays d’origine ;

- La réception du mineur dans le pays d’origine ;

- La réinsertion et la réintégration du mineur dans son pays ou région d’origine ;

- Le suivi évaluation de la situation du mineur retourné. 

 

2.2. Lesmodalités de mise en œuvre et de suivi évaluation de la procédure 

 

Cette même procédure prévoit les modalités de mise en œuvre et de suivi évaluation de la procédure. Ainsi, on y retrouve différentes idées : 

- les modalités et les mécanismes de coordination entre les différents acteurs 

- la nécessité d’un système d’information fiable 

- l’information et formation de tous les acteurs sur cette procédure 

- la nécessité de ressources humaines et matérielles  

- la nécessité d’un cadre de concertation et de coordination entre les partenaires au développement. 

 

Considérations finales

Le problème c’est qu’il ne suffit pas de prévoir des dispositions légales et des procédures pour que le problème soit réglé dans l’immédiat. C’est la raison pour laquelle, il faudrait que la procédure de protection, de retour concerté et de réintégration sociale des mineurs migrants marocains non accompagnés, soit soumise à un suivi avec évaluation régulier (e) en ce qui concerne : 

- l’évolution de la situation des mineurs migrants ;

- le respect de l’application de la loi et des procédures.

 

Les lois et procédures ne permettent pas toujours, selon les études, le respect des droits de l’enfant en ce qui concerne :

  • L’interception/appréhension ;
  • Les décisions et modalités d’expulsion/ rapatriement ;
  • L’identification des familles ;
  • Le transfert ;
  • L’arrivée / accueil au Maroc ;
  • La réintégration et la réinsertion. 

 

Les mesures préventivesdevraient protéger les mineurs à risque en veillant au respect des intérêts de l’enfant. Les lois et procédures devraient permettre la protection, dans le cadre d’un retour éventuel concerté et de réinsertion sociale des mineurs migrants. Il s’agit, notamment, de préserver les droits, l’intégrité et la dignité des migrants mineurs, de les protéger contre toute forme de violence, d’abus et d’exploitation et leur permettre une réelle insertion dans la société. A cette fin, l’implication des Etats et autres acteurs euro-marocains est primordiale et indispensable. L’application de cette production par tous les acteurs de part et d’autre de la Méditerranée, permettra non seulement le respect des droits de l’enfant mais également la cohérence et l’harmonisation des pratiques. 

 

La procédure précitée ne se suffit pas à elle-même, elle ne représente que l’un des instruments devant faire partie d’un ensemble de mesures à la fois nationales et internationales pour la préservation et la protection des intérêts des mineurs à risques. Le droit et les procédures ne valent que par leurs diffusions, leurs compréhensions, leurs mises en œuvres et effectivité.

 

 

 



[1]Conférence livrée aux journées internationales sur « les mineurs étrangers non accompagnés », Melilia, 21 et 22 novembre 2016.

[2]Article 20 (enfants privés de leur milieu familial), article 22 (enfants réfugiés), article 37 (torture, traitements dégradants et privation de liberté). 

 

[3]Ces textes prévoient que :

            -Les mineurs marocains, non accompagnés, débarquant sur les côtes espagnoles seront interceptés et rapatriés au Maroc dans un délai ne dépassant pas 40 jours ; 

- Les mineurs marocains non accompagnés entrant sur le territoire espagnol par une frontière seront immédiatement remis aux autorités frontalières marocaines ; 

- Les mineurs marocains non accompagnés entrés en Espagne et qui y vivent depuis un certain temps seront identifiés et une documentation en bonne et due forme attestant de leur nationalité sera déposée auprès des autorités marocaines avant d’entamer la procédure de rapatriement ; 

- Les mineurs marocains seront réintégrés dans leurs familles, si celles-ci sont retrouvées ;

- Lorsqu’il n’est pas retrouvé les familles, l’Espagne demandera aux autorités frontalières marocaines de procéder au rapatriement, tel que prévu par la législation espagnole. 

[4]Ce programme qui est financé par l’Union Européenne dans le cadre du programme AENEAS1, a pour objectifs, notamment, de : 

- « prévenir la migration irrégulière des mineurs marocains résidant à Tanger ; 

- veiller au respect des droits des mineurs qui participent au processus de retour volontaire et de regroupement familial, conformément aux normes et principes de la convention internationale sur les droits de l’enfant, notamment l’intérêt supérieur du mineur, et conformément aux dispositions du mémorandum d’entente du 23 décembre 2003 ; 

- prévoir les mesures d’accompagnement nécessaires à la réussite de la réinsertion des mineurs dans le milieu du travail et auprès de leurs familles ». 

 

[5]Comité des droits de l’enfant : observation générale N° 6, paragraphe 86, 2005



20/11/2021
0 Poster un commentaire
Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 46 autres membres