- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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QUELLE REPARATION POUR LE RIF?

Quelle réparation pour le Rif ?[1]

Honorable assistance, mesdames et messieurs, chers amis,

Au nom du Groupe de Recherche Mohamed Abdelkrim El Khattabi [GRMAK] et en mon nom personnel, je voudrais adresser mes remerciements à l'IER pour nous inviter à participer à ce Forum National sur la Réparation.

Visiblement, le Rif a, de tout temps, été considéré comme une région réfractaire, à part et rebelle. La vérité c'est qu'il a tout été fait pour que le Rif se rebelle, reste à part, et réfractaire. Le Rif a subi bien des injustices : des atteintes aux droits de l'homme, des exactions, l'enclavement, le confinement dans le sous-développement,… Aujourd'hui, on s'interroge sur quelle réparation le Rif est en droit de réclamer pour les préjudices et dommages souffert depuis l'indépendance politique du Maroc ?

Assurément, le fait même que l'IER s'interroge sur cette question est une reconnaissance implicite des structures de l'Etat. Mais cette reconnaissance doit-elle rester implicite ou se faire officielle ?

 Bien des personnes ont combattu l'occupation espagnole et française, bien des personnes sont mortes. Faut-il considérer qu'elle sont mortes pour rien ? Que leurs sacrifices étaient vains ? Lors d'un colloque organisé à Al Hoceima en commémoration de la bataille d'Anoual, un jeune devait affirmer qu'il aurait mieux valu « ne pas combattre les espagnols, d'autant plus qu'après les avoir chassés de chez nous, faute de pouvoir vivre décemment chez soi, les gens bravent la mer sur des pateras, en risquant leurs vies, pour chercher un travail en Espagne ». (Sic).

 Avant de s'interroger sur la réparation que le Rif, en tant que région et communauté, est en droit d'espérer, il convient de rappeler ce que sont les faits.

I. Rappel des faits

Ces faits se résument par l'exclusion et l'oubli du Rif, le désintérêt et la perte de la crédibilité de l'Etat, ainsi que des retards énormes à rattraper pour le Rif.

 1. Une exclusion à multiples facettes

Dans le cas du Rif, au delà de la répression, des exactions et dépassements subis par les individus, au delà des atteintes aux droits de l'homme,… la région, en tant que telle, a subi et continu de subir l'exclusion, la marginalisation, une politique ayant poussé ses fils à l'exil, qui a l'étranger, qui vers des villes plus clémentes,… L'histoire, elle même, des fils et symboles du pays a été amputée de l'histoire officielle, quant elle n'a pas été tronquée. Les fils du pays ne retrouvent pas dans l'histoire officielle, les actions et sacrifices faits par leurs ancêtres.

2. Le désintérêt de l'Etat pour ses ressortissants

L'Etat doit s'intéresser au sort et malheurs de ses ressortissants. Ces derniers ne doivent pas se sentir abandonnés, ils doivent au contraire être fiers de leurs appartenances. Est ce que cela est le cas jusqu'à maintenant ? Il est grand temps d'y remédier. Au delà de la politique d'abandon économique et social, du défaut d'infrastructures,… deux exemples, en eux mêmes, sont assez révélateurs et significatifs : le problème de la langue et celui de l'utilisation des armes chimiques de destruction contre le Rif. Quel intérêt l'Etat y accorde t-il ?

2.1. La langue tout d'abord

Comment peut-on être et se sentir citoyen à part entière, et non de 3e zone lorsque l'Etat ne fait pas l'effort pour que ceux qui ne parlent que le « chelha », « tarifecht », ou l'amazigh ailleurs, puissent se faire entendre, face à l'administration, face aux tribunaux ? Notons, en passant, que l'Espagne est en passe de considérer l'arabe marocain et « tarifecht » comme langue officielle, en Espagne, c'est la co-officialité, en raison des communautés dites « musulmanes » de Ceuta et Melilla.

2.2. La question de la guerre chimique contre le Rif

Des travaux sérieux ont mis l'exergue l'utilisation d'armes chimiques de destruction massive par l'Espagne et la France contre les rifains et Mohamed Abdelkrim El Khattabi. Des travaux tout aussi sérieux démontrent le rapport de cause à effet entre ces armes chimiques de destruction massive et le cancer. Tout comme ils révèlent le caractère mutagène de ces armes. 80 % des personnes atteintes de cancers et venant se soigner à Rabat proviennent du Rif, faute d'hôpitaux sur place. Or, combien d'entre les rifains ont les moyens pour se déplacer et résider à Rabat afin de se soigner ? L'Etat national n'a manifesté aucun intérêt quant à cette question. Bien au contraire. A contrario, le Congrès des députés espagnols est en passe de débattre d'un texte qui rappelle ce qui s'est passé et exige de la part du Gouvernement espagnol la reconnaissance, la condamnation et la réparation pour les préjudices subis.

3. Le Rif oublié

Le Rif et ses populations aspirent ni plus, ni moins qu'à un traitement équitable et égalitaire, au même titre que « le Maroc utile ». Longtemps durant, le Rif a été oublié. La catastrophe consécutive au dernier tremblement de terre a fait que les projecteurs ont été dirigés vers le Rif. Le souverain lui même a fait le déplacement et a pu se rendre compte directement des difficultés, mais aussi des potentialités du Grand Rif. Un plan pour le développement du Grand Rif a été demandé au Gouvernement. Les observateurs ont pu penser que le Rif allait devenir la priorité. Qu'en est-il de ce plan d'action faisant du Rif l'une des priorités du pays pour son développement ?

4. La crédibilité de L'Etat

Apparemment, comme cela est souvent le cas, une urgence, une priorité en chasse une autre. La vision a été exposée par le Souverain ! Le Gouvernement avait reçu comme instruction Royale de « s'atteler sans tarder à l'élaboration d'un plan de développement structurel intégré, à moyen et long terme », faisant du Rif « un pôle de développement urbain et rural  (…) » ! Qu'en est-il depuis le 25 mars 2004, date du discours Royal ? Le plan n'existe pas même sur le papier. Comment dès lors se fait-il qu'il y ait des difficultés pour l'envisager sous forme d'un plan d'action, en bonne et due forme, avec des objectifs, des moyens, un calendrier,…

Le plus grave, dans tout cela, c'est que la crédibilité de l'Etat se retrouve remise en cause. La gestion des difficultés consécutives au tremblement de terre aura été des plus désastreuses. Tamasint, Tamasint symbole des la résistance, du temps d'Abdelkrim, dernier bastion de la lutte n'a pas même le droit d'exprimer pacifiquement son mécontentement, par une marche. Fallait-il utiliser la répression contre les marcheurs, fallait-il utiliser les hélicoptères, les gaz lacrymogènes, les chiens, et la matraque ? Fallait-il passer en jugement les gens, au prétexte de trouble à l'ordre publique, en rase campagne ? De quelle réconciliation et réparation parle t-on dès lors ?

La crédibilité de l'Etat s'est retrouvée mise à mal, également, à l'étranger. Des pays et institutions de développement ne veulent plus confier directement à l'Etat les subsides pour le développement. Ils souhaitent s'en occuper eux mêmes, directement. 

5. Les retards à rattraper

Pour que les populations de l'ensemble des régions du pays puissent se sentir appartenir à une même communauté nationale, des mises à niveau sont vitales et nécessaires. Cinquante ans depuis l'indépendance politique du Maroc auront été autant d'années de perdues et à rattraper pour le Rif. Cela est d'autant plus grave et inconsidéré dans le cas du Rif, tout particulièrement, du fait que le pays dispose d'atouts certains.

II. Le droit à la réhabilitation, à la reconstruction et au développement

Les droits auxquels le Rif est en droit de prétendre tiennent aux obligations de l'Etat envers ses ressortissants, et se traduisent par cette nécessaire réconciliation avec soi, ce qui suppose une politique nouvelle envers le Rif, son histoire et ses populations. 

1. Les obligations et responsabilités de l'Etat-nation

L'Etat, tout Etat, a des droits, des obligations, des responsabilités envers ses ressortissants. De prime abord, l'Etat se doit de respecter ses ressortissants, de respecter les droits auxquels ils peuvent prétendre, d'autant plus qu'ils sont consacrés dans des textes. A moins que l'on ne prenne les textes de loi pour du simple papier. L'Etat se doit de ne pas avoir de traitement discriminatoire envers les différentes régions, qui composent le territoire national, et leurs populations, l'Etat-Nation ne se construit pas à coup de discrimination, de marginalisation, et d'exclusion,… 

2. La réconciliation par la réhabilitation de la mémoire collective et le développement

Au sein du GRMAK, nous pensons que la réconciliation du pouvoir central avec le Rif passe par la réhabilitation de la mémoire collective, la reconnaissance des mérites et sacrifices désintéressés des fils du pays avec à leur tête l'Emir du Rif. Des gestes forts ont été faits en ce sens. Cependant, cela ne devrait pas être conjoncturel et épisodique. Au delà de la réécriture, de l'officialisation et de la vulgarisation de l'histoire du Rif, avec en particulier l'épopée d'Abdelkrim, il convient que toute l'attention soit accordée aux besoins économiques, sociaux et culturels de la région.

3. Le rôle d' Etat

Que peuvent attendre les rifains de l'Etat ? Devenir des assistés ? Certainement pas ! Néanmoins, l'Etat se doit d'accomplir le rôle qui est le sien. Ni Etat providence, ni Etat gendarme ! L'Etat doit cependant faire le nécessaire pour que les investissements de base, les infrastructures soient faits. L'enclavement, l'isolement ne sont dans l'intérêt de personne. A défaut que l'Etat centralisé le fasse ou puisse le faire, il faudrait dès lors penser à mettre en exécution cette politique de décentralisation, de développement de la régionalisation que l'on nomme l'autonomie et qui fonctionne si bien chez les autres, la responsabilisation des populations locales, dans leurs choix, leurs représentants, leurs investissements, leurs avenirs,…

4. Une autre politique pour le Rif

La réparation par rapport à une attitude, des faits ou un comportement passé est intimement liée au souhait d'une réconciliation. Or, il ne faudrait pas se focaliser seulement sur le passé, en ignorant le présent et l'avenir. En fait, la « réparation » par rapport au passé est quasiment impossible, car on ne peut faire marche en arrière, et tout effacer. Par contre, des dédommagements sont possibles. Des redressements présents et futurs aussi, par rapport aux situations économiques, sociales, politiques, culturelles,… Une politique de grands travaux, des voies de communication, la construction d'autoroutes et de routes, de voies ferrées, de ports, d'aéroports, d'hôpitaux, d'Universités,… Réhabilitation, reconstruction et développement sont les mots clés pour la réconciliation avec le Rif.

5. La question du rapatriement de la dépouille de l'Emir du Rif, la réécriture de l'histoire,...

Il n'y a pas longtemps, parmi les dossiers sur lesquels l'IER s'est penché il y a eu celui du rapatriement de la dépouille de l'Emir Mohamed Abdelkrim El Khattabi. Des visites ont été faites par des responsables de l'IER à la famille du défunt, au Maroc et en Egypte. Saïd El Khattabi a même été convié à venir à l'IER. Nous sommes étonnés au sein du GRMAK que subitement l'IER se désengage de cette affaire. Pensait-on sérieusement que le règlement de tout un pan du passé avec le Rif se ferait par un simple rapatriement, quasi en catimini, de l'un des hommes qui a marqué son siècle ? Quel honneur pouvait-on lui rendre dans ce cas ? Le rapatriement pour Saïd El Khattabi ne peut, objectivement, se faire qu'après une réécriture de l'histoire. Au sein du GRMAK nous rajoutons que le préalable à toute réconciliation avec notre histoire est certe sa réécriture, en débarrassant le bon grain de l'ivraie, en accordant aux martyrs la place et les honneurs qui leur reviennent dans l'histoire de leur pays, en mettant en place les jalons véritable de la démocratisation, du développement, des droits humains, de la citoyenneté,… Mais, aussi en lançant une politique de grands travaux à même de permettre le décolage économique, social et culturel de la région.

Considérations finales

Assurément, l'IER n'a pas les moyens juridiques, ni matériels pour la réparation du préjudice subit par le Rif, et bien d'autres régions. Néanmoins, le fait de suggérer, en haut lieu, ce à quoi il faudrait remédier n'est pas négligeable. L'IER ne peut donner plus que ce qu'elle n'a. La mission de l'IER vient à sa fin. D'autres structures doivent être appelées à prendre le relais. Dans tous les cas, la « réparation » communautaire ne saurait, ni devrait être du replâtrage, des demies mesures de conjonctures.

Copyright : © 2005 Mimoun CHARQI. Tous droits réservés.

Mode officiel de citation : Mimoun CHARQI, « Quelle réparation pour le Rif?», http://CHARQI.blog4ever.com


[1]  Communication faite au Forum National sur la Réparation, organisé par l'Instance Equité et Réconciliation, à Rabat, les 30 septembre, 1er et 2 octobre 2005.



10/05/2010
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