- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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LE DIFFEREND HISPANO-MAROCAIN AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL CONTEMPORAIN

Le différend hispano-marocain au regard du

droit international contemporain[1]

                                                                 

                                                               

 

Honorable assistance, chers amis,...

 

La question de Sebta, Mellilia et les îles et îlots avoisinants revient au devant de la scène et fait l’actualité ces derniers temps. Mes propos ne sont pas tant de relater ce qui se passe aujourd’hui, aux points de passage, à Sebta et M’Ritch que de rappeler ce qui est légitime du point de vue du droit international.

 

La présence espagnole dans le Grand Rif date de plusieurs siècles[2]. Au début, et jusqu’en 1864, il est question de présides, de lieux où sont envoyés des prisonniers, des garnisons,... Au fur et à mesure du temps, les espagnols ont étendu leurs occupations sur le terrain[3]. A titre d’exemple, d’un simple rocher qu’était « Rosadir », la vieille ville, aujourd’hui « Melilla », « M’ritch »  en rifain, s’est étendue jusqu’à occuper une superficie de 12 km2.

 

Force est de rappeler que, lors de la résistance pour l’indépendance du Maroc, les guérilleros de l’Armée de Libération Nationale, ainsi que les activistes politiques de l’indépendance, trouvaient refuge dans la zone Nord du Maroc administrée par l’Espagne. La revendication directe et immédiate de ces villes et îlots ne s’est pas faite en même temps que la rétrocession de la zone Nord du Maroc sous protectorat espagnol, pour des raisons politiques. De là, certains parmi ceux qui s’efforcent de légitimer la présence de l’Espagne au Maroc distinguent entre places et territoires de souveraineté, d’un côté, et protectorat, de l’autre.

 

Aujourd’hui, nombre d’exactions aux droits humains et à la dignité de l’homme sont relevées, par la société civile, aux points de passages, sur les citoyens marocains. Ce sont dès lors deux points de droit, ou plutôt de non droit, de violations de droits, qui se posent. Le premier a trait au respect de la dignité humaine, et du droit international des droits de l’homme, tandis que le second se rapporte à la solution potentielle, au regard du droit international public, quant à la rétrocession des territoires actuellement occupés et administrés par l’Espagne.

 

Dans tous les cas, qu’il s’agisse du respect des droits humains ou de la décolonisation, il s’agit là de questions qui ne peuvent être réglées que pacifiquement, dans le cadre du droit, en garantissant et en préservant les intérêts des uns et des autres. Mais, il faut le dire, l’équation n’est pas simple à résoudre, car les deux problèmes sont en fait imbriqués l’un dans l’autre.

 

Initialement, mon exposé prévoyait de s’attarder sur la rétrocession des villes et îles et îlots au Maroc, sur les revendications et arguments de part et d’autre, au sujet des territoires occupés par l’Espagne et revendiqués par le Maroc,... Mais peut-on, compte tenu de ce qui se passe actuellement, passer sous silence les violations aux droits de l’homme, notamment, aux check points ?

 

I. Les exactions au droit international des droits de l’homme

Les atteintes et violations aux droits de l’homme sont doubles, en ce sens qu’elles peuvent être classées en violations contemporaines et passées.

 

1. Les violations contemporaines

Les médias, ainsi que la société civile rapportent, preuves à l’appui, les tabassages, brimades et autres dont ont fait l’objet, de façon régulière, des personnes d’origine marocaine, aux points de passages. Que ce soit du côté marocain ou espagnol, les atteintes aux droits humains sont condamnables et doivent être condamnées. Le fait que, de ce côté ci il puisse y avoir des dérapages et atteintes aux droits de l’homme ne justifie nullement que cela puisse se faire, également, de l’autre côté et, dans les deux cas, la justice doit se prononcer et faire son travail. Chaque fois qu’un ressortissant subit une atteinte à sa dignité et à ses droits, son Etat lui doit protection.

 

Si en règle générale, les populations autochtones ont pu vivre avec les populations  espagnoles sous bonne entente, cela n’a jamais empêché qu’il y ait pu y avoir des cas de dérapages, de racismes, de violations de droits,... Et dans tous les cas, l’exception ne fait que confirmer la règle générale qui veut que l’autochtone, d’origine marocaine, bénéficie de ses droits sur le territoire espagnol. Ce n’est pas sans raisons, si beaucoup, si ce n’est la plupart, ont la double nationalité, et bénéficient des droits et acquis que cela leur confère.

 

2. Les violations passées

L’occupation des territoires du Nord du Maroc, par le Portugal et l’Espagne,  s’est faite de façon belliqueuse, par les force des armes et canons, et a donné lieu à tout ce que peut engendrer la guerre. Sur fond d’agression militaire, viennent se greffer des traités. La lecture des traités signés entre l’Espagne et le Maroc, il faudrait dire « imposés » par l’Espagne au Maroc, permet de voir dans quelles conditions les droits des rifains ont été bafoués. Comment ils ont été spoliés de leurs terres, comment leurs maisons et champs ont été détruits, comment leurs mosquées et cimetières ont été rasés. Les traités, en particulier celui de 1862, prévoit des indemnisations des rifains pour la perte de leurs terres, maisons et autres biens et droits ; des indemnisations qu’ils n’ont jamais reçues à ce jour.

 

Les relations avec les autorités marocaines ont toujours été, tout le long de l’histoire, des compromis effectués sur le dos populations autochtones et au détriment de l’Etat marocain[4]. L’occupation et le dépeçage de l’Empire chérifien marocain, par les puissances occidentales du début du XXe siècle, a réduit le territoire à un ensemble amputé du Sahara oriental, de la Mauritanie, de plusieurs territoires avec le voisin algérien et Sebta, Melilia ainsi que les îles et îlots avoisinants.

 

Durant les agressions militaires dites de « pacification », pour l’occupation du Grand Rif, au début du siècle passé, les violations et exactions se sont poursuivies et perpétuées. L’histoire est là pour témoigner de la barbarie employée par les militaires espagnols, les nez et oreilles coupées, les têtes tranchées et offertes sur des corbeilles de roses[5], l’utilisation des armes chimiques de destruction massive,... le tout en violation du droit international.

 

Les dettes de l’Espagne sur le Maroc sont nombreuses ; on y retrouve la spoliation de personnes de leurs territoires et de leurs richesses, outre les exactions et violations perpétrées tout le long des guerres d’occupation dites de « pacification ». La question de la guerre chimique contre le Rif et les rifains est toujours en suspens et devrait à défaut d’un règlement amiable faire l’objet de poursuites en tant que crime contre l’humanité.

 

II. L’antagonisme des positions espagnoles au regard du droit

Outre la géographie et l’histoire, au regard du droit international public, les principes consacrés abondent en faveur du Maroc. Néanmoins, encore faudrait-il que le Maroc fasse preuve de plus d’ardeur diplomatique et juridique. Chacune des parties revendique les villes, îles et îlots, ici en question, avec des arguments qui au regard du droit international public ne se valent guère.

 

1. Le dualisme antinomique de la position espagnole

Au sein de la société espagnole, tandis que les uns se refusent à toute discussion, d’autres, plus sages, recherchent la négociation.

 

1.1. Les arguments des partisans espagnols du refus

Les arguments invoqués sont divers :

         1. La « terra nullius » 

« Certaines de ses possessions ont été occupées alors qu’elles n’appartenaient à personne (res nullius). C’est le cas de Melilla qui fut occupée en 1497 alors que ses habitants l’avaient désertée ou celui des chafarinas occupées quatre siècles plus tard en 1848, alors que la souveraineté d’aucun Etat ne s’y était affirmée de façon officielle. »[6].

 

         2. L’acquisition de Ceuta par Traité international avec le Portugal 

« Le cas de Ceuta est différent puisque la ville fut acquise en 1580 par l’Espagne après la réunion des royaumes du Portugal et d’Espagne sous Philippe II, puis plus officiellement par le Traité de 1668. Bien sûr, les portugais l’avaient conquise par la force en 1415, mais dans le cas de l’Espagne l’acquisition de Ceuta s’est réalisée par un Traité international en 1668 »[7].

 

         3. La pratique courante de la conquête militaire 

 « Dans le cas des peñones de Velez de la Gomera et d’Al Hoceima, leur acquisition s’est effectuée par une conquête militaire (ocupatio bellica) et une occupation effective ininterrompue à une époque où cela était une pratique courante »[8].

 

Les arguments historiques ne s’arrêtent pas là, puisque selon certains le lien est encore plus ancien :

         4. Des provinces de l’Espagne romaine 

« Déjà au IIIe siècle, le territoire de l’Afrique du Nord où se situent Ceuta et Melilla étaient une province de l’Hispania romaine sous le nom de Nova hispania ulterior tingitana (...)[9].

 

         5. La dépendance du Califat de Cordoue 

« A la période arabe, Ceuta et Melilla ont dépendu du Califat des Omeyades de Cordoue »[10].

 

                                                                                                            A suivre...



[1] Conférence livrée à l’occasion du colloque Sur le thème : « Ceuta, Melilla et les îles  à la lumière des expériences internationales et du droit international et leur place dans l’agenda des partis politiques marocains». Organisé par le CMCA, le  25 septembre 2010, à l’Hôtel Tour Hassan à Rabat.

[2] Les portugais prennent Sebta en 1415. En 1580, après la mort du roi du Portugal Don Sebastião, le Portugal a été rattaché à l'Espagne sous le Roi Philippe II et Sebta passe ainsi sous la domination espagnole. En 1640, lorsque le Portugal recouvre son indépendance, la ville de Sebta reste rattachée à l’Espagne. Melilla quant à elle est occupée en 1497. L'île de Nkour  (Peñón de Alhucemas) est occupée en 1673. La presqu'île de Badis (Peñón de Vélez de la Gomera) est occupée une première fois vers 1508 puis après de nombreuses conquêtes et reconquêtes, tombe en main des espagnols en 1564. La première conquête des îles chaafarines remonte à 1848. Elles sont récupérées par les marocains et reconquises par les espagnols à plusieurs reprises. L'île d'Alboran est occupée au XVe siècle.

[3] “(…) la inmensa mayoría del territorio actualmente ocupado por el Estado español en Marruecos proviene del despojo ocurrido a raíz de la Guerra colonial de 1860 y que de hecho hubo que esperar hasta finales del siglo XIX para que éste fuera tomado efectivamente, con el consiguiente expolio y deportación de sus dueños y habitantes marroquíes. El perímetro de Ceuta y Melilla anterior a esa fecha es una parte ridícula de las actuales plazas, (…)”. ANDALUCÍA LIBRE nº 116, Polémicas sobre las Colonias de Ceuta y Melilla, (4/5/2002).

[4] Le traité de paix et d’amitié de Tétouan du 26 avril 1860, à son article 3 prévoit : « (...) S.M le Roi du Maroc cède à S.M la Reine d’Espagne en plein domaine et souveraineté le territoire compris entre (...) ». L’article 8 prévoir que « S.M marocaine s’oblige à concéder à perpétuité à S.M catholique sur la côte de l’océan près de Santa Cruz la petite le territoire suffisant pour la formation d’un établissement de pêche (...) ». Le traité de Tétouan du 24 août 1859, prévoit à son article 1 : « S.M le Roi du Maroc (...) convient céder à S.M catholique en plein domaine et souveraineté le territoire limitrophe à la place de Melilla jusqu’aux points plus adéquats pour la défense et tranquillité de ce préside ». Traduction faite du texte espagnol.

[5] Voir Mimoun Charqi. Mohamed Abdelkrim El Khattabi : l’Emir guérillero. Collection Histoire et lectures politiques ? Rabat, 2003, pages 159 s.

[6] Yves Zurlo. Ceuta et Melilla : histoire, représentation et devenir de deux enclaves. P.128.

[7] Idem

[8] Idem.

[9] Idem. Notons que l’argument peut être renversé. En fait les romains eux-mêmes étaient des envahisseurs. L’on voit bien que l’émotion l’emporte sur la raison.

[10] Idem.



20/09/2010
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