- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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L’EMIR MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI ENTRE L’EXIL ET LES PROJETS DE RETOUR DANS LE RIF

L'EMIR MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI ENTRE L'EXIL  ET LES PROJETS DE RETOUR DANS LE RIF[1].


Le 14 février 2004 nous étions réunis, à l'initiative du Journal Le Monde Amazigh autour d'un colloque abrité par la C.C.I.S de Nador, autour du thème des armes chimiques de destruction massives contre le Rif. Aujourd'hui, nous sommes réunis, ici, dans la ville d'Al Hoceima, autour du thème de l'installation de l'Emir en Egypte : Dimensions et significations nationales et internationales, sous l'égide de la Fondation Mohamed Abdelkrim El Khattabi.


La relation entre le thème du premier colloque et le second est à mettre en exergue. Puisque ce fut tout particulièrement l'utilisation des armes illégales et chimiques de destructions massives contre le Rif qui conduit Mohamed Abdelkrim El Khattabi à baisser les armes et à négocier avec les français les termes d'une reddition. Un accord qui ne fut pas respecté du côté français, puisqu'au lieu de se retrouver dans un pays de son choix, (le Liban ou la Syrie), l'Emir se retrouva embarqué pour de nombreuses années d'exil à l'île de la Réunion, où il devait passer 21ans avant que les français lui donnent l'occasion de leur fausser compagnie, en 1947.


Autant l'histoire, de Mohamed Abdekrim EL KHATTABI, liée à la guerre du Rif, est-elle suffisamment vulgarisée auprès des personnes intéressées, autant la période de l'exil reste t-elle à explorer, à mettre en forme et à vulgariser. Aussi, le présent colloque est-il le premier jalon pour ce nécessaire travail de recherche, d'histoire et de mémoire afin de rendre hommage à un homme qui a marqué son siècle et continu à susciter l'intérêt des générations. Les braises de feu Mouray Mohand sont encore ardentes.


Les différents intervenants se pencheront sur différents aspects des années « d'exil » correspondant à l'installation de Mohamed Abdelkrim El Khattabi en Egypte, avec tout ce que cela peut soulever comme interrogations, émotions et passions. D'ores et déjà, il faut dire que l'examen approfondi et la présentation des périodes d'exil ne seront pas finies avec ce colloque ; bien s'en faut.


Avec le départ de l'île de la Réunion, ce fut là le premier projet de retour de l'Emir, un projet de retour que l'on peut qualifier de français, puisque à l'initiative de ces derniers. Ce dernier n'ayant pas aboutit, l'Emir réussi à débarquer en Egypte, où il entreprend son combat sous d'autres formes et avec d'autres ambitions, dont un projet de retour que l'on peut désigner d'Egyptien puisque soutenu par le Raïs Gamal Abdenasser. Mais en quoi consistaient ces deux projets et quels étaient leurs tenants, contextes et aboutissements.


I. LE PROJET DE RETOUR FRANÇAIS DE L'EMIR

Les années s'écoulent sur l'île de la Réunion. L'Emir reçoit et écrit en pensant à son Rif natal et la vie s'écoule paisiblement. Autour de lui, sa famille et ses proches. Deux décennies se sont déjà écoulées. Les perspectives d'avenir semblent monotones. Un événement vient cependant tout chambouler et mettre un peu de tension, de suspens et d'appréhension dans la vie, depuis paisible, de la famille El Khattabi. Un émissaire spécial est venu de France, sous l'identité commune de « Jean Durand », membre des services secrets français, avec une proposition pour le moins peu anodine.


La France a connu des changements politiques importants. Après la fin de la seconde guerre mondiale, les élections ont porté au pouvoir le Front populaire et les gouvernements Blum et autres. Dans le Front Populaire on retrouve des membres des Brigades Internationales qui s'étaient engagées dans la guerre d'Espagne contre les franquistes aux côtés des rouges et qui dès lors avaient des opinions et positions politiques guère favorables au régime franquiste.


L'Emir se voyait proposer ni plus ni moins qu'un projet de retour dans le Rif pour la reprise des combats. Au point de vue de la forme, l'Emir serait transféré en France pour raison de santé afin de suivre une cure thermale, à Vichy ou Royat. De là, il serait discrètement débarqué dans le Rif pour la reprise des combats. La France soutiendrait le combat des rifains y compris auprès de l'Organisation des Nations Unies. Une fois le soulèvement du Rif opéré, les délégués français demanderaient une réunion du Conseil de Sécurité, pour condamner l'Espagne qui n'en était d'ailleurs pas membre, tout en recherchant l'évacuation de la zone sous autorité espagnole en arguant d'actes de génocides contre les populations autochtones. L'Espagne ne pouvant être en mesure de faire face à des mesures de blocus et sanctions économiques céderait et la zone du Nord du Maroc, sous autorité espagnole, serait incorporée au reste du pays et soumise à l'autorité du Sultan qui concéderait une large autonomie au Rif sous l'autorité de l'Emir. En politique avisé, Abdelkrim demanda un temps de réflexion avant de rendre sa réponse.


L'Emir n'avait plus grande confiance dans les français. Déjà, une première fois, lors de la reddition négociée ils n'avaient pas respecté leur engagement. Fallait-il leur faire confiance une fois de plus au risque de le regretter ? Une fois l'agent français reparti, l'Emir envoya un émissaire au Roi Farouk d'Egypte en lui expliquant la situation et en sollicitant son accord pour un asile en Egypte. La réponse ne se fit pas attendre. Non seulement le Roi Farouk marquait son accord total pour accueillir l'Emir mais en sus, au besoin et si nécessaire, la force serait employée pour son débarquement.


Une fois l'agent français revenu voir l'Emir, ce dernier lui fit part de ses conditions. Il fit mine d'accepter, sous réserve d'aller en France avec tous les siens, y compris la dépouille de sa défunte mère, et qu'il lui soit concédé un traitement digne de son rang. Toutes ses conditions furent acceptées par la France.


Mais, force est de préciser, à ce sujet, que les avis divergent selon les sources au sujet des conditions du débarquement de l'Emir. Qui en pris l'initiative ? Comment se déroula t-elle ? Nombreux furent ceux qui s'efforcèrent de récupérer à leurs avantages politiques les conditions et la décision du débarquement et de l'installation de l'Emir en Egypte. Nul doute que nous reviendrons, tout à l'heure, au moment du débat sur cette question. Toujours est-il qu'il semble peu probable que le débarquement et l'installation aient pu se faire sans que l'Emir y ait été préparé et surtout sans qu'il ait reçu l'accord préalable du Chef de l'Etat Egyptien de l'époque. Au passage, on ne peut que rendre hommage, ici, aujourd'hui à l'attitude du Roi Farouk, encore que les mauvaises langues en disent long sur ses motivations. La thèse ici retenue qui, au demeurant, paraît fort crédible trouve ses fondements dans le témoignage du journaliste espagnol Fernando P. DE CAMBRA , [auteur du livre « Cuando Abdelkrim quiso negociar con Franco »], qui eut l'occasion de rencontrer et d'interviewer à plusieurs reprises l'Emir et les siens . Ce témoignage provient des entretiens de ce journaliste écrivain avec l'Emir.

C'est ainsi qu'une fois embarqués sur le bateau du retour et arrivés à Port Saïd, lors de l'escale du navire, les autorités Egyptiennes montèrent à bord du navire et manu militari, mitraillettes aux poings, sous l'œil abusé et en dépit des protestations du commandant du bateau et des gendarmes français en civil, l'Emir débarqua avec les siens. Seule la dépouille de sa défunte mère resta dans le navire.

Ainsi, le projet français de retour de l'Emir n'aboutit pas et permis le débarquement et l'installation de ce dernier au Caire avec tous les honneurs dus à un très haut dignitaire, champion des causes des peuples sous domination. Mais l'histoire ne s'arrête pas là puisqu'un deuxième projet de retour, cette fois ci à l'initiative de l'Emir et appuyé par les autorités Egyptienne profilait déjà à l'horizon.


II. LE PROJET DE RETOUR APPUYE PAR L'EGYPTE

En 1954, une entrée en relation se fait entre le journaliste espagnol précité et l'Emir, par le biais des services Egyptiens. Il ressort du témoignage publié par ce journaliste écrivain espagnol que l'Emir envisageait un retour sous forme de débarquement quelque part sur la côte rifaine avec un groupe de fidèles. Pour rejoindre ses partisans et se lancer contre la zone française et l'autorité du Sultan de l'époque Moulay Ben Arafa qui avait été mis sur le trône par les français, en lieu et place de Ben Youssef, déporté avec sa famille à Madagascar.


S'agissait-il de refaire l'épopée bis répétita de la guerre du Rif de 1921-1926 ? Les donnes, selon Abdelkrim, avaient grandement changées. Le monde était en train de vivre le début de l'ère des décolonisations. Le Ghana avait déjà ouvert la voie. La France, à l'instar des autres puissances coloniales, avait des difficultés sérieuses avec ses colonies en Indochine, en Tunisie, au Maroc,… Le débarquement et les opérations seraient accompagnés d'émissions radio diffusées depuis le Caire. Tout ce qui était souhaité c'est que l'Espagne ferme les yeux. Qu'elle ne mette pas d'obstacle au débarquement et surtout aux livraisons d'armes qui devaient se faire. Le journaliste témoin de ce plan était sollicité de façon à ce que discrètement il fasse parvenir ces intentions au Caudillo espagnol Francisco Franco.


Mais quel pouvait être l'intérêt de l'Espagne dans tout cela ? Il était question d'amitié, de sympathie et surtout de conditions privilégiées d'expansion économique autant au Maroc que dans le monde arabe, vu qu'elle aurait contribué à la libération du Maroc. En somme, des relations de partenariat étaient une fois de plus proposées à l'Espagne. Abdelkrim revenait à ses rêves d'antan d'amitié et de fraternité hispano-rifaine dans l'intérêt bien compris des deux peuples.


Les combattants seraient les hommes d'Abdelkrim. L'armement, les fonds ? Le Conseil Egyptien de la Révolution y pourvoirait de façon inconditionnelle. Il apparaît que les autorités Egyptiennes et leur service d'intelligence planifièrent la prise de contact avec Abdelkrim autant que le soutien au Plan.


Des contacts furent également pris avec le Glaoui, auquel fut exposé le Plan et les garanties qui était réservées à ce dernier. Pleine autonomie du Sud sous son autorité, participation au gouvernement du Maroc,… Qu'est ce qui était demandé du Glaoui ? Ni plus ni moins que sa neutralité et sa sympathie au moment des combats et sa collaboration à l'heure du triomphe. Cependant, le Glaoui ne considérait pas le moment opportun. Il fallait attendre que la situation se détériore d'avantage au Nord comme au Sud. Le Glaoui considérait que la France ne l'abandonnerait jamais. Il réservait sa décision pour plus tard.


Néanmoins, le temps passait. Depuis la première entrevue au printemps 1954, entre le Journaliste Espagnol et Abdelkrim, les différents voyages de cet intermédiaire témoin, le départ du Général Mohamed Naguib, relevé par le Conseil de la Révolution, et la consolidation du pouvoir de Gamel Abdenasser, l'audience du témoin avec le Glaoui en décembre 1954, le retour de ce même témoin en Egypte en janvier 1955,… Le temps ne travaillait plus en faveur d'Abdelkrim. Mais, le problème c'était qu'il ne pouvait agir seul, il avait besoin des autres. Entre temps, la rébellion Algérienne éclatait le 1er novembre 1955. Et, par ailleurs, le retour de Mohamed V se préparait. Le premier octobre 1955, Moulay Ben Arafa quittait Rabat pour Tanger et le 30 janvier il abdiquait, pour la Côte d'Azur, tandis que le 31 Mohamed Ben Youssef revenait de l'exil avec destination Saint Germain En Laye, afin de « négocier » les conditions de son retour au Trône.


En Egypte, le Raïs avait d'autres préoccupations immédiates que le Plan du retour d'Abdelkrim pour la reprise des combats. Le projet de construction de barrage d'Assouan et la nationalisation de canal de Suez étaient autant de projets qui allaient résulter sur de sérieux problèmes. Dans la foulée, cette nationalisation du canal de Suez, qui eut lieu le 26 juillet 1956, fut suivie par la guerre éclair du Sinaï le 29 octobre, avec l'appui franco-britanique à Israël et les opérations Amilcar et Mosquetero bis.


Si le Maroc sous protectorat français avait été rétrocédé, le Rif quant à lui n'était toujours pas évacué par les Espagnols. Abdelkrim espérait toujours. Néanmoins, son émissaire espagnol auprès de Franco n'eut pas le succès escompté. Franco se refusait à toute discussion avec Abdelkrim et rechassait catégoriquement l'idée d'un accord, fut-il tacite avec ce dernier. Il ne voulait pas entendre parler d'Abdelkrim. Les blessures étaient encore profondes et les esprits ne s'étaient pas encore élargis. Le 11 avril 1957 se signait à Madrid l'évacuation espagnole. Quelques années plus tard, le 6 février 1963 Abdelkrim s'éteignait au Caire où sa dépouille demeure. Ses projets de retours n'ont pas eu lieu. Mais la question qu'on est en droit de se poser est de savoir si Abdelkrim a jamais quitté le Rif et les rifains ? Il est permis d'en douter ; les cendres de feu Abdelkrim sont toujours ardentes. 



[1] Communication au colloque organisé par la Fondation Mohamed Abdelkrim El Khattabi, à Al Hoceima, juillet 2004.



01/07/2010
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