- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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L'ESPAGNE ET LE MAROC DOIVENT SE LIBERER DES BOULETS DU PASSE

L’Espagne et le Maroc doivent se libérer des boulets du passé

 

La récente visite du Ministre espagnol de l’intérieur, Jorge Fernández Díaz, en date du 09 juillet 2012, au site de la bataille d’Annoual, a été l’occasion pour rendre hommage aux soldats espagnols morts durant ce qui fut une véritable débandade et un véritable désastre militaire pour l’armée espagnole. Il faut noter qu’en son temps, l’Espagne chercha plutôt à connaître des responsabilités en désignant une commission présidée par le Général Picasso. Depuis 1921, l’Espagne avait toujours eu le profil bas envers la honte subie par une armée moderne espagnole vaincue par des paysans. Or, il faut noter que cette visite et cet hommage du ministre de l’intérieur espagnol ont été précédés d’une distinction militaire. En effet, le gouvernement espagnol de Mariano Rajoy a concédé, en date du 1er juin 2012, au Régiment des chasseurs d’Alcantara 14, par décret Royal, la plus haute distinction militaire espagnole, dite « Crux Laureada de San Fernando ». « (...) dans le but de reconnaître les faits héroïques ayant eu entre le 22 juillet et le 9 août 1921, lorsque le régiment protégea le retrait des troupes espagnoles depuis ses positions à Annoual jusqu’à mont Arruit, geste dans laquelle mourût la plus grande part de  ses membres : 28 des 32 officiers et 523 des 685 hommes de troupe (...) ». Sic.

 

Cet hommage ainsi que cette décoration interviennent pour des faits guère honorables qui remontent à 1921, au moment de la guerre du Rif contre les rifains et Mohamed Abdelkrim El Khattabi. Les responsabilités consécutives au désastre militaire subi par les espagnols à Annoual sont consignées dans le rapport du Général Picasso qui, au terme d’une enquête avec les survivants, met en exergue les causes de la défaite espagnole ainsi que les attitudes et manquements militaires. Annoual fut une débandade avec un sauve qui peut des espagnols vers Melilia. Les pauvres bougres, souvent enrôlés contre leur gré, coincés entre un commandement défaillant et des rifains avides de liberté, n’avaient d’autre pensée que la fuite effrénée. Le rapport Picasso relate : « Annoual fut abandonnée avec tous les éléments, sans ordres, sans instructions, sans plan ni direction. Les forces mélangées, confondues, sans chefs, harcelées par l’ennemi et dans autre idée que le sauve qui peut, la fuite individuelle, honteuse chez les uns, inexplicable chez d’autres et lamentable en tous. Etant inutiles les efforts de quelques uns pour freiner l’avalanche qui si soudainement avait débordé ». Sic.

 

Alors que du côté de la société civile marocaine, en particulier rifaine, cette distinction militaire, puis la visite et l’hommage précités sont ressentis comme une provocation, certains nostalgiques des époques coloniales applaudissent et regrettent que cela n’ait pas eu lieu plus tôt. Pire, des relents de racisme, de glorification des actes et agressions militaires, des crimes de guerre sont encensés dans les commentaires et réactions de certains.

 

L’Espagne est libre de décorer qui elle veut et quand elle le veut. Qui peut lui contester valablement le droit de reconnaître comme des héros telle ou telle personne ou structure militaire ? Sauf que, l’on peut légitimement se dire que si le régiment de cavalerie en question méritait une quelconque décoration militaire, pour son action dans la tentative de protection de la fuite, il semble plus logique que l’Espagne ait pensé le faire il y a près d’un siècle de cela. Pas même le Dictateur Primo de Rivera, dont le frère trouva la mort dans le conflit, ne pensa concéder au 14e de cavalerie Alcantara cette distinction militaire.

 

La question qui se pose est de savoir pourquoi cet hommage, pourquoi cette distinction, pour des faits honteux et au demeurant plus de 90 ans après ? Il faut croire que par les temps fort difficiles que vit l’Espagne aujourd’hui, le naufrage en cours des banques espagnoles, la crise des subprimes, l’éclatement de la bulle immobilière, le chômage sans précédent qui touche 25 % des actifs,... elle ait besoin d’agir pour faire en sorte que la catastrophe subie à Annoual paraisse moins désastreuse que ce que l’Histoire a pu en retenir et surtout manipuler son opinion publique. Le citoyen lambda oublie la récession de l’heure et s’enorgueillit d’un passé colonial et militaire en réalité bien peu reluisant... Il est connu depuis toujours que chaque fois qu’un pays a des problèmes en interne, il s’efforce de détourner l’attention de son opinion publique vers l’extérieur, vers le voisin, vers l’ennemi réel ou supposé et d’exploiter les sentiments nationalistes, xénophobes, racistes,... Ce qui est surprenant c’est que la visite du Ministre de l’intérieur espagnol se soit faite en passant par Melilia, accompagné, au demeurant, par une escorte marocaine...

 

Il y a eu assurément des victimes y compris du côté espagnol, puisqu’un grand nombre de soldats étaient sur place contre leur gré, enrôlé de force. Qu’il soit rendu hommage à l’ensemble des victimes, de part et d’autre serait le bien venu. Mais, cet hommage doit aussi condamner la guerre d’agression menée par l’Espagne coloniale contre un peuple de paysans libres.

 

Les relations hispano marocaines ont, de tout temps, connu des hauts et des bas. Bien des  erreurs ont été commises de part et d’autre. Chaque fois que l’Espagne a pu connaître des problèmes internes, elle s’est efforcée de retourner son opinion publique vers des problèmes externes, en particulier vers le Maroc. Entre l’Espagne et le Maroc devrait s’ouvrir un débat serein, débarrassé de toutes les séquelles du passé. Les points de différends tels que celui de la guerre chimique contre le Rif, celui de Sebta, Melilia, les îles et îlots... devraient être abordés pour une solution amiable, durable et pérenne dans l’intérêt des deux parties. L’avenir des deux pays est commun, l’un avec et pour l’autre et non l’un contre l’autre.

 

Quand comprendra-t-on, une fois pour toutes, que les difficultés économiques, commerciales et financières de l’Espagne d’aujourd’hui ne peuvent être solutionnées contre mais avec le Maroc ? La réconciliation, le partenariat gagnant-gagnant, dont rêvait tant Mohamed Abdelkrim El Khattabi exige de sceller une intégration toute particulière entre les deux pays, que les problèmes soient mis sur la table des négociations, que les faiblesses soient traduites en forces. Le Rif a eu à souffrir des agressions espagnoles aux armes chimiques de destruction massives. Le Grand Rif et ses populations continuent, au jour d’aujourd’hui, à souffrir des effets mutagènes et cancérigènes de l’Ypérite, du Phosgène et dela Chloropicrine. Est-ilsi difficile de reconnaître, officiellement, que des fautes ont été commises au siècle passé, de demander pardon, d’ouvrir de nouvelles pages d’histoire basées sur la réparation, la paix, la prospérité et l’amitié entre les peuples ? Ce débat, les sociétés civiles rifaine et espagnole l’ont enclenché, depuis quelques années, il faut qu’il soit porté et engagé aussi, officiellement, par un comité ad hoc représentatif des deux Etats.

 

                                                                                             



08/06/2012
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