- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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L'ACTUALITE DE LA VISION POLITIQUE DE MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI

L'ACTUALITE DE LA VISION POLITIQUE DE MOHAMED ABDELKRIM EL KHATTABI[1]

 

Très honorable assistance, chers amis,

Il m'a été demandé d'intervenir sur la question de l'actualité de la pensée politique de Mohamed Abdekrim El Khattabi. Thème qui en soit n'est pas évident, à première vue. L'équation entre l'actualité de la pensée politique d'Abdelkrim par rapport aux questions fondamentales du Maroc d'aujourd'hui n'est peut être pas bien évidente pour qui ne sait pas ce qu'il en est de la pensée politique de l'Emir du Rif, d'une part, et des questions politiques et institutionnelles actuelles du Maroc contemporain, d'autre part. Sans à priori, aucuns, j'essaierai de vous présenter dans quelles mesures ou limites cette équation se vérifie ou pas. Etant bien sur précisé que toutes les questions fondamentales faisant partie de la problématique politique actuelle du Maroc ne saurait être examinées. En outre, cette communication n'a pas l'ambition de cerner à fond le sujet. Disons qu'il ne s'agit là que d'un rapport introductif sur la base duquel un débat pourra s'enclencher, entre nous, tout à l'heure. C'est pourquoi, l'exposé se fera sous forme de propositions soumises à la discussion.

Mais de prime abord, quelles sont les questions du Maroc contemporain que l'on peut considérer importantes et d'actualité? On y retrouve : la lutte contre le sous-développement, le partenariat avec l'Europe, l'intégrité territoriale, les réformes constitutionnelles, la régionalisation ou l'autonomie des régions, l'équité et la réconciliation par le règlement des problèmes hérités du passé, l'amazighité, l'Islam tolérant, voire la question de l'utilisation d'armes chimiques de destruction massive contre le Rif et les rifains,...

La proposition générale, autour de laquelle s'est construit le thème de cette journée d'étude, tient à affirmer que l'Emir Abdelkrim et la vision issue de la pratique et de la pensée politique suivie ou exprimée par l'Emir du Rif est au centre des questions constitutives de l'actualité politique du Maroc contemporain. Bien sûr, une telle proposition ou hypothèse de travail tient à être étayée et démontrée. En quoi consiste dès lors cette vision et qu'en est-il de son caractère actuel? Cela nous conduit à des sous propositions diverses.

1. Le partenariat avec l'occident pour sortir du sous-développement

Comment sortir le Rif du sous développement? Déjà, au temps de l'Emir, le Rif connaissait le sous développement, l'ignorance, l'enclavement, l'isolation,... Cette situation est aujourd'hui encore fort d'actualité. Le souverain a eu l'occasion de se rendre compte, de part lui même, des injustices et de l'abandon frappant le Rif. Un plan de développement pour le Rif a été réclamé par le souverain marocain suite au dernier séisme ayant frappé la région d'Al Hoceima. A ce jour, on attend encore. Mais au delà du Rif, comment le développement du Maroc est-il pensé au plus haut niveau de l'Etat? Chacun se rappellera ce qui semblait être une boutade de la part du défunt Roi Hassan II. Faire partie de l'union européenne! Dans la foulée, l'actuel souverain préparait une thèse de doctorat de troisième cycle sur le partenariat du Maroc avec l'Europe. C'est dire si la question du partenariat avec l'Europe est d'actualité! Or, déjà au début du siècle passé, Mohamed Abdelkrim El Khattabi exprimait clairement la nécessité d'un partenariat avec l'Europe, ou plus exactement avec l'Espagne, afin de sortir du sous développement. Un partenariat bien compris, gagnant-gagnant, dans l'intérêt des deux peuples et pays.

2. Les réformes institutionnelles et autres

L'éphémère "république des tribus confédérées du Rif" ne dura pas bien longtemps. Pourtant, une véritable gageure se fit. En période de guerre, avec des combats sur tous les fronts, l'Emir, en Juriste et politique avisé qu'il était, réussit des réformes institutionnelles importantes. Un projet de constitution tout d'abord. Avec cette particularité que l'Emir se refusa à devenir le "Sultan". Ses souhaits et buts avérés étant bien autres que le pouvoir pour le pouvoir. Des réformes religieuses à l'encontre du pouvoir des Zaouias et de leurs pratiques et usages. Un état confédéré regroupant les tribus du Rif, au sens large et géographique du terme. Des réformes juridiques. Des voies de communication, des routes qui depuis sont encore les seules d'usage. Etc. Aujourd'hui encore, au Maroc, les démocrates sont convaincus de la nécessité de réformes au plan du droit, de l'Etat et des institutions pour aller vers le progrès, le développement, la démocratie,...

3. L'intégrité territoriale et le parachèvement de l'indépendance nationale

L'un des problèmes les plus épineux du Maroc contemporain demeure l'affaire du Sahara. Les accords d'Aix les bains furent ce qu'ils furent. Et l'Emir les contesta pour ce qu'ils consacraient comme situation anachronique, en particulier en ce qui concerne le Sahara. Notre ami Zaki M'bark nous en dira certainement davantage tout à l'heure. Aujourd'hui encore, l'affaire du Sahara n'est pas encore réglée. Quant aux villes et présides du Nord du Maroc, ils sont encore occupés par l'Espagne.

4. L'autonomie des régions et l'Etat fédéral

L'autonomie du Rif fait partie des questions abordées, ici et là, de façon plus ou moins claire, à travers des notions telles que la régionalisation, etc. La plus haute autorité du pays, a eu l'occasion d'exprimer à plusieurs reprises, dans ses discours, sa vision pour le développement du Maroc dans le cadre d'une politique de régionalisation. L'autonomie des grandes régions du Maroc de façon à consacrer davantage les principes de responsabilisation et de démocratisation est perçue comme une issue pour des pôles de concurrences entre les régions, sous l'autorité de la bannière rouge et étoile verte. Plusieurs colloques et rencontres se sont tenus, au Maroc, autour du terme de l'autonomie des régions. Or, là encore, Mohamed Abdelkrim El Khattabi fut un précurseur. Puisqu'il fut envisagé à plusieurs reprises, dans les plans de l'Emir, la question de l'autonomie du Rif. Bien plus, cette autonomie fut mise en pratique et le pouvoir politique exercé au début du siècle dernier.

5. Sagesse, équité et réconciliation avec le Rif

Dans le cadre des actions menées par le pouvoir central, via l'instance "équité et réconciliation", un rapprochement et de meilleurs sentiments semblent d'actualité envers le Rif. Or, le Rif se trouve avoir un symbole en la personne de l'Emir Abdelkrim. Et, justement, le pouvoir central projette, dans le cadre de la réconciliation avec le Rif et les rifains, de construire un mausolée au chef rifain et de rapatrier les restes de son corps depuis le Caire.

Force est de rappeler, à ce sujet, que lors des premières années de l'indépendance, le Rif connu les événements de 1958-59. Que le défunt Sultan Mohamed V avait rendu visite à l'Emir en sa résidence, en Egypte, et l'avait invité à rentrer dans son pays. Ce à quoi l'Emir avait exprimé certaines réserves. Comment lui demander de retourner dans son pays alors que le Rif venait de subir les tragiques et violents événements de la répression? Que plusieurs leaders rifains et autres de l'armée de libération nationale étaient liquidés? Ce à quoi le défunt Sultan aurait répondu que tout cela était le fait d'un certain parti politique. Réponse lourde de conséquences.

L'Emir se refusa à retourner dans son pays tant que l'indépendance et le recouvrement de l'intégrité territoriale des pays maghrébins n'était pas entièrement acquis. Tant que la démocratie, la liberté, l'égalité et la citoyenneté n'avaient pas droit de cité. Etc. Au delà du discours, les conditions souhaitées par l'Emir, de son vivant, sont-elles aujourd'hui réunies? Sans parler de la question de l'intégrité territoriale, qu'en est-il de la démocratie, de la citoyenneté et de l'état de droit, tout particulièrement, dans le Rif? Le Rif est-il au même niveau que Rabat, Casablanca, Fès ou Marrakech,..

Au delà de la symbolique, assez forte en soi, d'un mausolée pour l'Emir, dans sa terre natale, la réconciliation avec le Rif et les rifains passe par la mise à niveau du Rif, par un plan de développement durable et approprié bénéficiant à l'ensemble de la population locale, probablement, aussi, par la responsabilisation de ces mêmes populations et élites locales, par une régionalisation de développement conséquente,...

6. La diversité culturelle et linguistique

Le Maroc semble s'être résolument engagé, encore que timidement, dans la reconnaissance de ce que le Maroc est un pays amazigh. Que le berbère est l'une des composantes essentielles de la culture de la majorité de la population. Le mouvement amazigh, au Maroc, et là notre ami Raha nous en contera certainement davantage, milite en faveur de la reconnaissance de l'identité berbère du Maroc. Abdelkrim fut journaliste chroniqueur en chef de la rubrique en langue arabe du télégrama del Rif. Mais il fut aussi professeur de chelha, ou tarifecht. Tout comme il pratiquait l'espagnol. L'enseignement de l'amazigh est aujourd'hui fort d'actualité dans notre pays.

7. L'Islam tolérant

L'Islam tolérant et libéré de toute interprétation obscurantiste est la voie officielle prônée et suivie par le Maroc. Là encore, l'Emir fut un précurseur. Ses plus fervents adversaires furent les religieux des Zaouias ou Marabouts qui, de façon égoïste, défendaient leurs privilèges. Abdelkrim ne mena pas une guerre sainte contre les agresseurs espagnols et français. Mais une guerre de libération. Loin d'être une guerre de religion, la guerre du Rif fut une guerre contre l'agression, l'occupation et l'oppression d'un peuple libre et avide de son indépendance. Aujourd'hui, des voix s'élèvent qui se prononcent pour un Islam tolérant, un Islam prônant le grand Djihad économique de la bataille contre le sous-développement, un Islam de l'égalité des droits entre hommes et femmes, un Islam de la citoyenneté, un Islam de la séparation des pouvoirs, un Islam laïc,...

8. L'actualité de la guerre chimique contre le Rif

Enfin, je ne saurais terminer cette communication sans aborder la question de la guerre chimique contre le Rif qui, bien que n'ayant pas de rapport direct avec la pensée politique de l'émir, se retrouve aujourd'hui faisant l'actualité. Des actions sont en cours afin de demander reconnaissance et réparations pour les crimes consécutifs à l'utilisation des armes chimiques de destruction massives contre le Rif.

Au terme de ces différentes hypothèses introductives de travail nous pouvons en venir à la discussion.

                                        Dr. Mimoun CHARQI.

                                        Membre du G.R.M.A.K.

 

 



[1] Communication à la journée d'étude organisée par le Groupe de Recherche  Mohamed Abdelkrim El Khattabi et la Fondation Baït Al Mohamed Aziz Lahbabi, à Temara, le 05 février 05, en commémoration du 42ème anniversaire de la disparition de l'Emir du Rif, sur le thème : « Mohamed Abdelkrim El Khattabi et les questions du Maroc d'aujourd'hui ».



07/05/2010
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