- Mimoun Charqi - ANALYSE POLITIQUE ET JURIDIQUE -

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DIFFICULTES ET ASPIRATIONS DES POPULATIONS RIFAINES

DIFFICULTES ET  ASPIRATIONS DES POPULATIONS RIFAINES

 

En ce jour où nous commémorons le 48e anniversaire de la disparition de feu Mohamed Abdelkrim El Khattabi, il convient de rappeler que les rifains et leur leader avaient lutté pour la préservation de leurs droits et libertés. De là, disserter sur les difficultés et aspirations des populations rifaines, aujourd’hui, est fort à propos.

 

1. Situation

Le grand Rif, au sens géographique du terme, s’apparente à cette chaîne montagneuse du versant nord et méditerranéen du Maroc. Cette région, qui avait été attribuée au protectorat espagnol, comme suite à la Conférence d’Algésiras de 1906, et au partage du Maroc entre les puissances européennes, est le territoire de tribus jebalas et rifaines. Comme vous le savez, les jebalas, littéralement les montagnards, occupent le Nord Ouest du Nord du Maroc, ils s’expriment en arabe marocain, tandis que les rifains qui occupent le centre et l’Est du Nord du Maroc s’expriment en rifain, tarifecht, ou tarifit.

 

2. Rappels historiques

L’Espagne, au début du siècle dernier, a eu de sérieuses difficultés pour pénétrer le Rif et asseoir son autorité sur des populations de paysans libres et avides de liberté et indépendance. Le grand Rif a eu ses sympathisants, notamment, en raison de la résistance de Mohamed Abdelkrim El khattabi, aux agressions coloniales des armées espagnoles et françaises combinées. Avant l’avènement des protectorats espagnol et français, le Rif était formé de tribus autonomes par rapport au pouvoir central et religieux du Sultan. A l’occasion, certaines tribus ont pu se regrouper en confédérations pour faire face à un ennemi commun. C’est le cas de la tribu des Gueliya, Ikari’yen qui est regroupe cinq tribus entourant Melilia, M’ritch. C’est le cas, aussi, d’une façon beaucoup plus large, avec la république des tribus confédérés du Rif, sous Abdelkrim, qui a exercé son autorité sur l’ensemble du Grand Rif.

            Cet Etat a tenu, cinq années durant, contre deux puissances européennes modernes de l’époque, entre 1921 et 1926. Force est de noter que l’utilisation d’armes chimiques de destruction massives, prohibées par le droit des gens, a eu lieu pour la première fois de l’histoire de l’aviation dans le Rif et que la reddition d’Abdelkrim est consécutive à ces mêmes armes chimiques.

            Le pays a de tout temps été confronté aux aléas de la sécheresse. Les populations ont souvent du se replier sur les économies de contrebandes et autres trafics pour pouvoir vivre. Le sous développement et les difficultés économiques et sociales de la région ont été mises à profit par l’Espagne coloniale pour enrôler des gens, dans le besoin, afin de servir dans ses armées contre leurs propres frères de sang, tout comme ils ont pu être utilisés par Franco dans sa guerre contre les républicains espagnols.

En 1956, le Maroc recouvre son indépendance et, quelques temps après la France, l’Espagne rétrocède l’essentiel du Rif, qui était sous son administration, au Maroc nouvellement indépendant. Mais, que reste t-il du passage de l’Espagne, dans le Rif, après un demi siècle d’occupation ? Mieux que çà, qu’en est-il de l’état du Rif et de ses populations, un demi siècle après l’indépendance politique du pays ?

 

I. Les problèmes du Rif et des rifains

 

1. Répression, abus, exil, enclavement, exclusion...

La plupart des habitants ont du quitter leurs régions pour aller chercher du travail, qui en Europe, qui à l’intérieur du Maroc même. Le Rif est essentiellement connu par le kif, les trafics d’immigration, la contrebande,… Avec l’indépendance du Maroc, les populations locales ont fait l’objet d’une sévère répression, lors des évènements de 1958-1959. Pourquoi ? Parce qu’ils réclamaient du nouvel Etat indépendant qu’il nomme des responsables parlant leur langue, parce qu’ils souhaitaient participer à l’administration du Maroc pour lequel ils avaient lutté, car ils aspiraient à la démocratie et à la liberté…

            L’Etat marocain, pour se débarrasser des rifains, a favorisé l’émigration, en Europe, d’une grande partie de la population, en Allemagne, en Belgique, en Hollande, en France, en Espagne,… Le Rif a subi dès lors l’exclusion et la marginalisation. La région a subi une punition collective et communautaire. La région pâtit énormément en matière de besoins et d’infrastructures routières, sanitaires, d’éducation, de pôles de croissance, de centres de développement, …

            Il faudra attendre cinquante ans, après l’indépendance politique du pays, pour que le pouvoir central commence à s’intéresser au Rif. Le dernier tremblement de terre ayant frappé Al Hoceima, en février 2004, aura permis à la plus haute autorité du pays de se rendre compte de l’enclavement de la région, de l’état de sous développement de ses populations. Les ressources issues de l’émigration permettent, en bonne partie,  de contribuer à la vie et aux besoins des populations sur place ; solidarité oblige. L’Etat centralisé a montré ses limites, en terme de contribution au développement et à la croissance. L’Etat se retrouve en panne, la démocratie agonisante avant que d’être. Le séisme d’Al Hoceima a permis de révéler l’importance de la solidarité entre les gens de la région. La visite du Souverain, effectuée après le séisme, lui aura permis aussi de se rendre compte des besoins, mais aussi des potentialités de la région. Timidement, le pouvoir central s’engage dans des projets d’infrastructures dans le pays. Al Hoceima est enfin reliée à Nador par une partie de la rocade méditerranéenne. Un projet de port « Tanger Med » est construit et en cours de développement. Un deuxième port dit « Nador Med » de transbordement pétrolier avait été annoncé qui aujourd’hui se retrouve en stand by. Sur Nador, il est prévu toutes une séries de sites touristiques sur la lagune de Mar chica. Mais, est ce suffisant ? Il y a tant de retards à rattraper ! Un schéma général de développement avec un calendrier, une feuille de route, affichée, quantifiée et budgétisée auraient étés les bien venus. Pourtant, ce plan d’action et de programme pour le développement du Rif avait été demandé, par le souverain, au gouvernement, suite au tremblement d’Al Hoceima.

 

2. Les difficultés linguistiques

La population rifaine, qui s’exprime en tarifecht, rencontre des difficultés face à l’administration, aux autorités, à la justice,… Campagnards, montagnards, exclus de biens des services publics, en principe à la charge de l’Etat, ils ne parlent pas l’arabe, et quant ils le baragouinent le comprennent très mal. Chaque fois qu’il leur faut s’adresser à une administration publique, ils doivent se faire assister. Majorités, dans leur propre pays, ils font figure de minorités.

 

3. Les difficultés sanitaires

En matière de santé, les besoins sont énormes. L’une des particularités du Rif, en matière de santé publique, c’est qu’il représente un pourcentage effarant de personnes atteintes par le cancer, comme conséquence de la guerre chimique contre le Rif, entre 1921-1925. Les malades doivent se rendre à Rabat pour se faire soigner, faute d’hôpitaux spécialisés dans le Rif. Mais, encore faut-il avoir les moyens de se rendre jusqu’à Rabat, et y résider pour se faire soigner. Les statistiques dénotent que 80% des malades atteints du cancer, se faisant soigner à Rabat, proviennent du Rif. Mais quelles en sont les raisons ? Des experts, de renommée mondiale, ont pu démontrer et affirmer le rapport de cause à effet entre l’utilisation des armes chimiques de destruction massives, (ypérite, phosgène et chloropicrine), employées contre les populations rifaines, et les cancers en question. De surcroît, ces études précisent que ces armes ont des effets mutagènes. Ce qui signifie que les héritiers des victimes d’hier continuent de souffrir de l’emploi de ces armes chimiques de destruction massive.

 

4. La stigmatisation

Le Rif et ses populations ont souvent été stigmatisés et présentés comme des trafiquants, des ignorants, des rebelles, des paysans, des « gens de la montagne », avec une connotation et un sens péjoratif,… Pourtant, la vérité est que les gens de cette région ont été des résistants ayant combattu pour l’indépendance du pays, qu’il s’agit de gens ayant des valeurs et principes que l’on ne retrouve plus chez les citadins, que beaucoup d’entre leurs enfants ont pu faire des études, participent au développement du Maroc, sont experts dans leurs domaines, …

 

5. Le problème de la propriété foncière

Le régime juridique de la propriété foncière dans le Rif a été dualiste : Certains disposent d’actes de propriété basées sur le droit musulman, dits « Moulkia » et d’autres d’actes introduits par l’administration espagnole dits « titre khalifiens de propriété ». Mais, la plupart des personnes ne disposent pas de documents de leurs propriétés. Ils les exploitent sans s’être souciés de penser qu’un jour ils pourraient être contestés dans ce qui leur appartient, par l’administration des domaines des eaux et forêts. La pauvreté a fait que souvent les gens n’ont jamais ressenti le besoin de justifier leurs propriétés. D’autant plus que le Maroc indépendant a étendu à la zone anciennement espagnole le régime de la conservation foncière et de l’immatriculation. L’immatriculation requiert le paiement de frais importants et bien des personnes sont inquiétées dans leurs propriétés légitimes, quant elles n’ont sont pas défaites.

 

6. Le cannabis

La culture du kif a conduit à de sérieux bouleversements dans les structures sociales des gens de la région de Kétama. Force est cependant de préciser que tout le Rif n’est pas concerné par le kif et que par ailleurs ceux qui en profitent le plus ce ne sont pas les agriculteurs eux-mêmes, mais les trafiquants, qui ne sont pas nécessairement et toujours originaires du Rif.

 

7. Le problème de l’eau, de l’électricité et des voies de communications

L’eau potable fait souvent défaut. Nombre de sources et de puits dont l’eau est utilisée comme potable par l’homme et les animaux est saline, avec un arrière goût la rendant difficile à boire. Bien sûr les conduites d’eau potable, l’évacuation des eaux usées, l’électrification font défaut. Bien des villages ne sont pas accessibles fautes de voies de communications.

 

            De plus en plus, il y a une volonté de la société civile, des ONG de s’investir dans des projets de développement durable, de protection de la population, de sauvegarde et de défense de leurs droits les plus élémentaires : éducation, assistance juridique, soins, soutiens,… Mais, il faut dire que tout cela en est encore à l’état embryonnaire. Le pays n’a pas de tradition derrière lui et les ONG elles mêmes doivent être appuyées et soutenues pour pouvoir s’acquitter de leurs missions.

 

II. Les aspirations des rifains

Les aspirations somme toutes légitimes des populations rifaines sont toutes simples et rappellent les revendications faites par leurs aînés lors de l’indépendance du Maroc. Le Rif demeure une région vierge où tout reste encore à faire, en terme de développement. Or, le fait de se rendre compte des potentialités du Rif, et de ses richesses, ne devrait pas conduire à n’importe quels types de projets de développements. Avant toute chose, les projets devraient tenir compte et bénéficier aux populations locales, respecter l’environnement, tenir compte de la géologie du terrain, de la montée des eaux suite au réchauffement planétaire...

            En sus de la résorption des différentes difficultés et problèmes relatés ci-dessus, au moins deux grandes aspirations méritent d’être citées : le droit à la participation démocratique et au bénéfice des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.

 

1. La démocratie participative

La société civile revendique depuis plusieurs années l’autonomie du grand Rif. Il faut voir à ce sujet la déclaration pour l’autonomie du Grand Rif faite par une centaine d’association sous l’égide la confédération des associations culturelles amazighes du Nord du Maroc.

 

2. Les droits

Cette même société civile revendique, en toute légitimité, la jouissance des droits universellement reconnus, sans discrimination aucune, en toute citoyenneté.

 

                                                                                              Simple et élémentaire

 



08/02/2011
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